Vincent van Gogh (1853-1890) et Edvard Munch (1863-1944) ne se sont jamais rencontrés, question de hasards. Ils se sont en effet manqués de peu à plusieurs reprises à la fin des années 1880 à Paris, et sans doute aussi à Anvers en 1885. Van Gogh ne sut très probablement jamais rien de l’œuvre de Munch, tandis que Munch a certainement pu voir tout au long de sa vie jusqu’à une centaine d’œuvres de Van Gogh, et ce dès les années 1880, selon les commissaires, bien qu’il ne vît certainement jamais Le Pont de Trinquetaille (collection particulière). Et pourtant ! La figure du Cri, dont la première version de 1893 est exposée à Amsterdam, semble dériver du tableau de Van Gogh peint cinq ans plus tôt, où apparaît également une petite fille qui semble crier. Les deux personnages sont d’ailleurs chacun sur un pont. Les similitudes dans le traitement des deux images sont troublantes.
Depuis le début du XXe siècle, ces figures majeures de l’histoire de l’art n’ont eu de cesse d’être associées, même le mouvement allemand die Brücke les considérait en 1905 comme leurs deux sources d’inspiration. Aucune exposition ne les avait pourtant jusqu’à présent réunis côte à côte. C’est désormais chose faite. Le Van Gogh Museum présente l’une des expositions les plus spectaculaires du moment. Le visiteur accède ici à deux œuvres qui s’entrecroisent, et qui ensemble ouvrent la voie à l’expressionnisme.
La démonstration est magistrale et apparaît comme une évidence. La parenté entre La Maison jaune (1888, Amsterdam, Van Gogh Museum) et La Vigne vierge rouge, (vers 1898-1900, Oslo, Musée Munch) ne s’explique que par la façon dont ces deux artistes ont répondu à ce qu’ils ont vu chez Claude Monet, Henri de Toulouse-Lautrec ou Paul Gauguin à Paris quelques années plus tôt, en proposant leur voie commune, étrange coïncidence de deux esprits extrêmement proches. Toute une section de l’exposition est d’ailleurs consacrée aux œuvres qui les ont alors marqués tous deux à Paris. Une fois ce postulat posé, il est bien difficile d’expliquer les liens entre l’Autoportrait à la palette plus tardif de Munch (1926, collection particulière) et l’Autoportrait en peintre de Van Gogh (1887-1888, Amsterdam, Van Gogh Museum) – qui lui-même s’inscrit dans la lignée de l’Autoportrait à la palette de Cézanne (1886-1887, Zürich, Stiftung Sammlung E.G. Bührle) –, par la seule découverte par Munch de l’œuvre de Van Gogh. Les artistes ont suivi intrinsèquement deux trajectoires parallèles, qui avaient mené, trente ans plus tôt déjà, à ces mêmes analogies. Il s’agit, on le voit bien avec la Nuit étoilée de Munch (1922-1923, Oslo, Musée Munch), clin d’œil évident à la Nuit étoilée sur le Rhône de Van Gogh (1888, Paris, musée d’Orsay), de deux manières extrêmement proches de penser le ciel, les lignes d’horizon, et finalement la place de l’individu dans le monde. Les correspondances entre le Sous-bois avec deux personnages de Van Gogh (1890, Cincinnati, Cincinnati Art Museum) et le Tronc jaune de Munch (1912, Oslo, Musée Munch), mais aussi entre Le Pont de Trinquetaille et Le Cri, cités plus haut, s’expliquent en grande partie par le positionnement de deux esprits torturés face aux lieux menaçants et presque écrasants.
Le Van Gogh Museum aurait pu pécher en choisissant un trop grand nombre d’œuvres – c’est ce que l’on reproche continuellement aux historiens d’art ancien en ce moment. Ici les commissaires sont parvenus avec 80 tableaux et une trentaine d’œuvres sur papier à une exposition parfaite, servie par une scénographie tout aussi remarquable où rien n’est laissé au hasard, notamment au niveau des cartels.