Alexandre Crochet_D'où vient votre amour des livres ?
Pierre Bergé_Il date de l'adolescence, même si les livres remontent à mon enfance, à une époque où j'ignorais le mot de bibliophile. Ce mot, je l'ai découvert à 18 ans en venant à Paris. Je devais gagner ma vie, et j'ai rencontré un libraire qui m'a mis le pied à l'étrier, Richard Anacréon. J'ai trouvé un jour un livre dans de très bonnes conditions et j'ai pu le vendre le lendemain à un libraire en faisant des bénéfices.
Était-ce avant votre rencontre avec Jean Giono ?
Oui, j'ai fait la connaissance de Giono un peu plus tard. Cela a été une grande rencontre pour moi. Aujourd'hui encore, je suis président du prix Jean Giono et je viens de m'occuper de la transmission de sa maison à la Ville de Manosque.
Comment vous êtes-vous retrouvé à habiter au fond du jardin de Giono ?
Je lui ai écrit pour lui dire que je voulais être objecteur de conscience. Il avait pris de grandes positions pour la paix, ce qui lui avait valu d'être interné sous Daladier en 1939. Il avait écrit notamment un livre, Refus d'obéissance. Quant à moi, j'étais de plus en plus dans une obédience pacifiste et libertaire. Il m'a répondu en me dissuadant. À cette époque, j'avais fait une grande rencontre, celle de Bernard Buffet. Un jour, je me suis rendu avec lui dans une maison du Vaucluse située à une centaine de kilomètres de Manosque. Impossible d'être si près de Giono sans me rendre chez lui ! Nous sommes allés le voir, et y avons passé l'après-midi. Le soir venu, j'ai dit que nous devions repartir à cause de l'autobus. C'est là qu'il nous a invités à rester dormir dans le bastidon au fond du jardin. Le lendemain à déjeuner, il m'a fait une proposition. Gaston Gallimard voulait publier une biographie sur lui et l'écrivain souhaitait que je m'en charge… J'ai accepté. Nous avons habité un an dans ce bastidon avec Bernard Buffet, jusqu'à mes 21 ans.…