Indépendant, hors norme, Jacques Damase a marqué l'édition d'art du fer de sa singularité. Il s'est éteint vendredi 11 juillet à l'âge de 84 ans. Derrière la carrure de vieux loulou qui aura brûlé la vie par les deux bouts, apparaissait un coeur tendre, une curiosité buissonnière. Tour à tour journaliste pour Vogue et House & Gardens, auteur précoce d'un livre sur les Tellem, éditeur de près de cent cinquante ouvrages, galeriste et collectionneur, Jacques Damase a eu un parcours de touche-à-tout talentueux, à la Cocteau. C'est d'ailleurs sa sonnette qu'il tirera quand il arrive à Paris à l'âge de 17 ans. Il frappera aussi aux portes de Jean-Louis Barrault et Sartre pour qu'ils collaborent à la revue Labyrinthe que l'éditeur Skira lui avait confiée. La rencontre la plus déterminante s'effectue en 1965 avec une Sonia Delaunay alors au creux de la vague. La même année, il devient galeriste « par accident » en ouvrant boutique rue de Varenne, à Paris, puis simultanément de 1973 à 1976 à Bruxelles. Il y défend une programmation éclectique, des gravures d'Hogarth aux dessins de Félicien Rops, des tissus de Sonia Delaunay aux collages de Man Ray, Jim Dine et Le Corbusier. Il se montre tout autant curieux comme éditeur. En braconnant hors des sentiers battus, cet amateur d'excentricités et de courts-circuits visuels braque le projecteur sur les sculptures étranges de Braque, réhabilite Girodet, redonne ses lettres de noblesse au music-hall ou publie un livre sur Jean-Luc Vilmouth en 1986. Dévasté par un long procès contre les petits-fils de Sonia Delaunay, celui qui se qualifiait de « colporteur d'images » n'en restait pas moins toujours curieux. Son inébranlable gourmandise visuelle le gardait en éveil. Son ami Patrick Raynaud nous l'avait ainsi décrit : « Jacques est un Saturnien, un bélier qui va tête baissée vers tout, même vers la mort. »