Le Quotidien de l'Art

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Moi, Artemisia

Moi, Artemisia

De Judith à Madeleine, de Clio à Cléopâtre, de Vénus à Danaé, les héroïnes peintes par Artemisia Gentileschi (1593-1656) ont toutes un air de ressemblance avec cette dernière. Portant chacune des récits différents, ces femmes partagent pourtant la même aura, qu'elles plantent leur glaive dans une nuque ou leur regard dans ceux qui les toisent. Dans des compositions où la frontière entre eros et thanatos est toujours ténue, elles se vengent ou désirent avec la même fougue, la même liberté. Maestra des jeux de clair-obscur – appris à l’adolescence auprès du Caravage – Artemisia Gentileschi sut saisir avec un éblouissant sens du réalisme la profondeur psychologique de figures que nombre de ses homologues masculins représentaient béates, soumises, figées. Geste ultime d’affirmation de soi dans une époque de fascination des mécènes pour la femme artiste, la pratique de l’autoportrait était récurrente chez la peintre italienne, dont l’œuvre à la sensualité puissante est le sujet d’une rétrospective au musée Jacquemart-André. En s’attachant à retracer sa carrière en une quarantaine de peintures, de sa formation dans l’atelier de son père Orazio (1563-1639) à son succès au sein des cours royales européennes, cette exposition intervient alors que le catalogue de l'artiste ne cesse de s’enrichir. Elle puise en partie dans la littérature des historiennes féministes de l’art, qui a largement contribué à replacer la pittrice dans son époque. « La force de Gentileschi, sa détermination à poursuivre sa carrière dès son plus jeune âge, sa liberté par rapport aux conventions, constituent un exemple très moderne au XXIe siècle », appuie Patrizia Cavazzini, co-commissaire avec Maria Cristina Terzaghi, qui souligne qu'elle « fut une femme puissante, qui a été à la tête de son propre atelier ». Comportant des chefs d'œuvres tels que Suzanne et les vieillards (1610) ou Judith et sa servante (1618-19), l’exposition distille aussi des œuvres de confrères – notamment un très beau portrait de la peintre par Simon Vouet ou un petit croquis de l'Hollandais Leonaert Bramer, où elle apparaît en homme, affublée d'une moustache – témoignant de la capacité d'Artemisia Gentileschi à s’imposer, avec toute l’assurance qui lui était caractéristique, en égale de ses pairs.

Article issu de l'édition N°3073