À l’international, son nom est moins connu que celui de ses pairs Gerhard Richter, Joseph Beuys, Heinz Mack ou Otto Piene. Pourtant, Günther Uecker, décédé le 10 juin à l’âge de 95 ans, fait partie des artistes majeurs de l’avant-garde allemande d’après-guerre, dont les vies et les œuvres sont indissociables de l’histoire du pays. Né en 1930 à Wendorf, village de la côte baltique, il grandit dans l’atmosphère noire de la montée du nazisme, puis de la guerre. En 1945, quelques jours avant la chute du IIIe Reich, il cloue de l’intérieur la porte de la maison familiale pour protéger sa mère et ses sœurs des soldats de l’Armée rouge. Cet « acte de panique, de protection instinctif, a peut-être été une expérience clé pour mon approche artistique à venir », confiera plus tard Uecker, qui à la même époque dut aider à enterrer sur la plage des cadavres de déportés de camps de concentration, noyés après le naufrage d’un navire. Après la guerre, il fait un apprentissage de menuisier et de peintre en bâtiment avant de bifurquer vers l’art, et intègre l’école des beaux-arts de Weißensee à Berlin-Est, où les insurrections de juin 1953 font brièvement tomber les frontières. Passé à l’Ouest, Günther Uecker rejoint Düsseldorf, où il forme avec Heinz Mack et Otto Piene le cercle d’avant-garde ZERO, qui entend mettre à plat toute idée préconçue en matière de fond et de forme pour sonner « l’heure zéro » de l’art. C’est à cette époque que l’artiste fait du clou son objet clé. Ses grandes œuvres, faites de centaines de clous argentés enfoncés dans des toiles blanches, forment des paysages abstraits évoquant tantôt des forêts, des tsunamis, des arabesques ou des vortex, non sans rappeler les labyrinthes de la mémoire et les cycles de l’histoire... Engagé politiquement, Uecker prend position par ses créations. Il répond ainsi à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1988 par une série d’Images de cendres, et aux émeutes xénophobes de Rostock (ex-RDA) en 1992 par l’ensemble d’œuvres L’homme supplicié. Son combat pour un monde libéré et un art libérateur s’exprime aussi dans ses enseignements pratiques et théoriques à l’Académie de Düsseldorf, où il prend le relais de Joseph Beuys et devient, de 1974 à sa retraite en 1995, l’un des professeurs les plus respectés des jeunes générations. Travailleur acharné, Günther Uecker a continué jusqu’à sa mort à produire quotidiennement dans son atelier de Düsseldorf. Inaugurés en décembre 2024, les vitraux bleus de la cathédrale de Schwerin, ville de la côte baltique située à quelques kilomètres de son village natal, forment son dernier grand projet lumineux.
Disparition de l’artiste Günther Uecker, maître du clou

HORST OSSINGER / DPA / dpa Picture-Alliance.