Les centres d'art contemporain doivent-ils se contenter d'exposer ? La réponse est négative, à en croire Guillaume Désanges. « Aujourd'hui, dans les institutions, on doit se poser la question de la diversité des usages de l'espace aussi bien pour les artistes que pour les publics », argue le président du Palais de Tokyo. Cette considération est au cœur de son projet artistique, dont il a détaillé les grandes lignes dans son Petit traité de permaculture institutionnelle. L'idée : repenser l'institution en s'inspirant de l'agriculture raisonnée. Dans cette perspective, le centre d'art a créé dans son sous-sol la Friche, que Guillaume Désanges définit comme « un espace-temps, un mélange entre un espace partagé et une résidence, une sorte de programme de recherche et de production qui réunit des artistes ».
Quels résultats, après deux ans d'expérimentation ? La Friche est avant tout pensée comme un espace de recherche. Selon Guillaume Désanges, « l'important, c'est qu'il n'y a pas a priori d'obligation de résultat ». La première édition, qui explorait pendant plusieurs mois les acceptions plurielles de l'amour, a pourtant abouti à l'exposition « Hors de la nuit des normes, hors de l'énorme ennui », à l'automne 2023. Cette perspective permettait-elle aux artistes de s'émanciper de l'impératif de l'œuvre achevée ? Pas sûr. Comme le souligne Lou Fauroux, participante de la troisième édition : « Si la résidence donne lieu à une exposition, ce n'est plus une résidence de recherche. »
Un espace de recherche
Force est de constater que le Palais de Tokyo a pris acte de cette incohérence. Depuis la deuxième édition (de mars à juin 2024), les artistes présentent leur travail lors de portes ouvertes. La nouvelle formule leur confère une visibilité, tout en leur permettant de présenter un travail en cours. Cela les soulage aussi d'une pression non négligeable et les autorise à prendre le temps d'expérimenter. Lou Fauroux a ainsi pu se familiariser avec un nouveau logiciel avec l'aide de la développeuse Shuruq Tramontini. « S'il y avait eu une exposition, je n'aurais pas pris le temps d'apprendre comment lever le doigt d'un personnage sur Unreal Engine », s'amuse l'artiste.
« L'idée, c'est qu'on mette toutes nos ressources internes à la disposition des artistes pour les aider dans leurs projets de recherche », explique Coline Davenne, coordinatrice de la Friche. Le Palais de Tokyo leur donne accès aux ateliers techniques, à l'atelier de microédition et au four à céramique utilisé pour les ateliers de médiation. Les artistes peuvent acquérir de nouveaux savoir-faire aussi bien grâce à l'aide des régisseurs, de l'équipe des éditions que du service des publics. Mathilde Nourrisson a par exemple bénéficié d'une aide technique pour la structure d'une marionnette géante qu'elle crée actuellement à la Friche. « On a trouvé, dans les équipes techniques, une personne qui avait des connaissances sur ce sujet-là et qui l'a accompagnée », explique Coline Davenne. Les artistes peuvent aussi utiliser les chutes de bois et de tissu issues d'anciennes scénographies d'exposition. Le mobilier de la Friche est lui-même issu du réemploi. Aussi l'économie circulaire semble désormais réellement intégrée aux logiques de production du centre d'art.
Enrichissements mutuels
Les éditions thématiques de la Friche représentent par ailleurs des opportunités d'échange et d'entraide entre des artistes explorant des axes de recherche communs. « C'était exaltant de voir comment nos pratiques se répondaient, se réjouit Iyo Bisseck, qui a participé à la troisième édition (d'octobre à décembre 2024), et même si on ne travaillait pas nécessairement sur les mêmes sujets, on pouvait faire des ponts grâce au numérique. » Même constat chez les artistes de la quatrième édition, qui s'achève en mai, dédiée à la santé mentale dans l'art contemporain : « J'ai une approche marquée par le sensible, le textile, la matière, tandis que les artistes du collectif SMAC font toute une recherche de statistiques, explique Mathilde Nourrisson. Ce n'est pas du tout le même rapport au sujet, et c'est très enrichissant d'être ensemble. »
La Friche favorise également le dialogue entre les artistes et l'institution, essentiel à la mise en place d'une relation vertueuse entre des acteurs aux positions asymétriques. « Les discussions étaient complexes, avoue ana·mona servo, qui a participé à la première édition. Mais il y avait quelque chose d'intéressant qui se déployait dans les relations des artistes à l'institution, et inversement. »
À en croire les plasticiens, la vertu du Palais de Tokyo réside dans sa capacité d'écoute et de remise en question. Les négociations entre les artistes de la première Friche et l'équipe du centre d'art ont ainsi conduit celui-ci à réévaluer ses modalités d'accueil et les honoraires des participants. Le Petit traité de permaculture institutionnelle exprime la croyance en « la possibilité d’un changement par l’institution et dans l’institution » : s'il poursuit sur cette voie, le Palais de Tokyo a de sérieuses chances d'y parvenir.

Photo : Antoine Aphesbero.

Photo : Arianne Jaffrain.

Photo : Arianne Jaffrain.

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Photo : Antoine Aphesbero.

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© Iyo Bisseck.

Photo : Antoine Aphesbero.

Photo : Lucile Crosetti.

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© Palais de Tokyo, 2022.

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