Le Quotidien de l'Art

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Yoo Youngkuk, éloge de la montagne intérieure

Yoo Youngkuk, éloge de la montagne intérieure

« Je crois que j'étais encore en phase d'apprentissage jusqu'à l'âge de 60 ans. Après, je veux juste devenir plus libre. » Tortueux destin que celui de Yoo Youngkuk (1916-2002), phare de l’abstraction géométrique coréenne, dont l'œuvre, tardivement célébrée dans son pays, rayonne pour la première fois hors de la péninsule, à la Fondazione Querini Stampalia de Venise. Élevé au rang des grands maîtres contemporains d’après-guerre aux côtés de Kim Whanki (1913-1974) – avec lequel il fonda en 1948 le groupe néo-réaliste Sinsasil-pa – l'ascète d’Uljin n'exposa pas en solo avant 1964, et vendit ses premières huiles sur toiles à 60 ans passés. Aujourd'hui, elles s'arrachent à plusieurs millions de dollars à Frieze Séoul, et les galeries Kukje et Pace le consacrent avec des expositions rétrospectives. Formé à l'université Bunka Gakuin de Tokyo, Youngkuk s'imposa dès les années 1930 en meneur de nombre de cercles artistiques émergents, épris de surréalisme et de constructivisme européen. Mais l'oppression des intellectuels coréens par le Japon impérial et les affres de deux guerres successives mirent un coup d'arrêt à sa carrière. Suspendant ses expérimentations des formes organiques, il retourne à Uljin, devient pêcheur, puis chef d’une distillerie de soju qu’il nomma Manghyang (« mal du pays »). Une activité lucrative dont il se détourna sans regrets à la fin des années 1950, pour revenir à ses premières amours, l’observation des mouvements de la nature. L'ondulation des algues, le ruissellement de la pluie, mais surtout, les courbes et les crêtes tranchantes des sommets montagneux de sa province d'origine, le Gyeongsang du Nord, enflamment sa quête d'épure des formes et des couleurs. Montée dans le cadre du off de la Biennale 2024, l’exposition curatée par Kim Inhye (commissaire au musée national d'Art moderne et contemporain de Gwacheon, organisatrice de la première rétrospective de l'artiste en 2017) culmine au dernier étage du palais par un focus sur l'éclatante décennie 1960. Le salon du deuxième étage et le rez-de-chaussée, donnant sur le jardin, se prêtent à la contemplation de petites lithographies, collages et cartes postales en relief, et à l’écoute de l'émouvant témoignage vidéo de l’épouse de l’artiste, Kim Kisoon.

Article issu de l'édition N°2931