Comment est né le projet de l'exposition ?
L'idée précède mon arrivée au Mucem, en 2022. Elle est née d'une discussion entre Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles à Hyères, lui-même pratiquant du naturisme, et Bernard Andrieu, professeur à l'Institut des sciences du sport et de la santé de l'université Paris Cité, qui s'intéresse aux pratiques corporelles. Nous avons constitué une équipe de six co-commissaires avec David Lorenté, doctorant à Paris Cité qui travaille sur la communauté historique de Physiopolis, ainsi que Julie Liger et Thomas Lequeu, de la Villa Noailles. Nous avons constaté qu'il n'y avait jamais eu d'exposition sur le sujet, dans aucune institution publique française. Il a été décidé de placer l'exposition au rez-de-chaussée du Mucem, ce qui lui accorde une grande visibilité, notamment auprès des publics qui se rendent au musée pour la première fois.
Vous retracez une histoire du naturisme plutôt institutionnelle, mettant de côté les lieux plus sauvages...
Nous avons fait le choix de raconter la fabrication d'une spécificité française : comment la France est-elle devenue la première destination au monde pour les touristes naturistes ? L'exposition s'ouvre sur les racines du mouvement qui mêlent hygiénisme, nudisme, végétarisme et activités de plein air, au début du XXe siècle dans un contexte plutôt bourgeois. Puis, nous présentons une série d'infrastructures dont la construction s'étend des années 1920 aux années 1950, et agrégeant des communautés spécifiques : Sparta-Club, Physiopolis, Héliopolis, Montalivet et le Cap d'Agde. Chacune est documentée à l'aide de dessins, de photographies, d'affiches et de revues, mais aussi d'objets divers, de plans et de maquettes. Nous proposons quelques focus : les plages de Thielle, en Suisse, et de Marseille dans les années 1930, la pratique du bronzage qui croît au début du XXe siècle, les spectacles nus et le nu dans la photographie d'avant-garde. Tout l'enjeu est de raconter les multiples formes que prend le naturisme avec comme constante l'utopie de faire communauté. Une partie des personnes qui le pratiquent se sont éloignées de la dimension militante initiale, notamment dans les lieux que nous avons étudiés, dans une revendication de liberté. À l'inverse, d'autres pratiquantes et pratiquants adoptent une approche politique de la nudité parfois en marge des communautés historiques, comme le montre la fin de l'exposition. Nous y abordons les questions actuelles, parmi lesquelles le souci écologique, l'intérêt pour un régime alimentaire végétarien et, plus largement, une aspiration à réformer la société dans une perspective décroissante. La diversité et l'inclusion au sein du mouvement sont évoquées, avec une approche du naturisme inclusive qui recoupe la lutte contre les discriminations : body shaming, racisme, sexisme, validisme.
Comment l'exposition est-elle reçue ?
Dans les médias, l'accueil est enthousiaste. C'est un sujet inédit, qui se prête bien à un certain besoin de légèreté par rapport à l'actualité. Du côté des publics, l'exposition fait venir des visiteuses et des visiteurs plutôt jeunes, intrigués par le sujet et ravis de découvrir la profondeur historique et scientifique du propos, loin d'une approche sensationnaliste. Les visites naturistes que nous organisons avec la Fédération française de naturisme sont populaires auprès d'un public qui n'est pas toujours familier avec le Mucem. Ce type de sujet est particulièrement pertinent pour un musée de société implanté à Marseille. On sent une attente pour parler du corps autrement que pour en faire la promotion ou, au contraire, comme l'objet de tabous.
S'il devait y avoir une suite au projet, quelle serait-elle ?
Je m'intéresse à l'influence de la loi sur le rapport au corps et sur les pratiques de la nudité. Les sociétés sont structurées par leur histoire et par un ensemble de systèmes mentaux, culturels et moraux, que le droit met en forme. Quelles sont les stratégies pour les contourner ? Il y a là des choses intéressantes qui permettent de s'interroger sur d'autres formes de nudité, qui ne sont pas forcément naturistes.