« Où il n’y a pas d’église, je regarde les enseignes. Pour qui sait visiter une ville, les enseignes ont un grand sens », écrivait Victor Hugo en 1842, dans son recueil de lettres fictives Le Rhin. Jusqu’en 1805 et l’obligation de numérotation des maisons en France, les flâneurs se repéraient en ville grâce aux enseignes, suspendues ou peintes. Pouvaient y figurer les denrées vendues dans les boutiques ou l’activité des artisans. Parfois, le patronyme ou l’activité étaient représentés sous forme de rébus. À Paris, le musée Carnavalet conserve une collection de près de 200 enseignes, en bois, fer ou tôle, montrant la diversité de l’activité commerciale de la capitale avant l’individualisation des adresses et les travaux d’urbanisme menés sous le Second Empire.
Le métier de peintre en lettres a malgré tout perduré jusque dans le milieu des années 1980. « Sont apparus à cette époque les plotters vinyles, le système de lettres à la découpe et d'impression moderne », explique l'un d'eux, Louis Lepais. Avec son associé Paul Boinot, ils fondent en 2021 les Enseignes Brillo, entreprise de peinture en lettres et dorure située dans le 11e arrondissement de Paris. La devanture de la pâtisserie dans laquelle ils donnent rendez-vous a été conçue par leurs soins : des lettres dorées, rehaussées d’un cerne noir – « pour donner un peu de profondeur », explique Louis Lepais –, figent le patronyme du pâtissier dans la transparence de la vitrine. Sur chacune des fenêtres, les initiales « BS » s’imbriquent, formant un logo facilement identifiable. « Lorsque la plupart des professionnels ont switché vers les enseignes en vinyle, le métier s’est essoufflé, poursuit Louis Lepais. À ce moment-là, beaucoup d’écoles de peinture en décor ou de peinture en lettres ont fermé. Le CAP de peinture en lettres a fermé définitivement ses portes dans les années 1990-2000. » Quelques irréductibles ont cependant tenu bon : à Paris, Jacky Georges, Henri Konfinoff et Jean-Michel Drolon œuvrent depuis plusieurs décennies et n’ont longtemps eu que très peu de concurrence.
Réapparition d’une pratique
Depuis quelques années, il n’est pas rare qu’au détour d’une rue, l’œil soit attiré par une personne juchée sur une échelle, pinceau et appuie-main au bout des doigts, boîte à outils déployée sur le trottoir. La précision du geste nécessaire à l’exécution de l’ouvrage du peintre en lettres a quelque chose d’hypnotisant. Comment devient-on peintre d’enseignes ? Les parcours sont divers et souvent autodidactes. Diplômé d’une licence en arts appliqués, Paul Boinot travaillait dans une boutique de prêt-à-porter lorsqu’il est tombé sur une vidéo d’un peintre américain sur YouTube, il y a dix ans. Ses envies de métier manuel reviennent alors. Sa compagne lui offre peintures et pinceaux, et il participe à des workshops, surtout à l’étranger. « En France, il n’y avait pas grand-chose. À l’époque, le métier existait surtout aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons », continue Paul Boinot.
Louis Lepais découvre le film documentaire Sign Painters (2014) alors qu’il est étudiant en arts appliqués. « J’ai fait des stages, notamment chez le peintre en lettres britannique Ged Palmer. C'était un apprentissage à l’ancienne, j'y suis resté plusieurs mois, à apprendre le métier de A à Z, en commençant par les bases, se souvient-il. C’est assez exceptionnel d’avoir pu faire un tel stage, peu de gens ouvraient leur atelier à d’autres à l’époque. »
Virginie Lorillou a été graphiste en agence pendant dix ans avant de découvrir un « groupe de filles, aux États-Unis, qui peignaient sur des vitrines ». Elle commence en 2017 à dessiner sur une vitrine, puis de fil en aiguille reçoit des commandes pour des enseignes pérennes. Elle se forme à Amsterdam auprès du peintre en lettres Mike Meyer et vit aujourd’hui à 100 % de la peinture en lettres en faisant « des enseignes, des vitrines, des ardoises… » Tous observent un accroissement de l’intérêt pour le métier et sont souvent sollicités par des personnes qui souhaitent démarrer. « Il ne faut pas oublier que ça reste un métier assez physique, qu’on est dehors toute l’année et par tous les temps », note Virginie Lorillou. S’il y a aujourd’hui davantage de ressources et si les peintres en lettres ont gagné en visibilité grâce aux réseaux sociaux, le secret pour être un bon artisan de l’écriture est de « faire des lignes et des lignes pour faire travailler sa mémoire musculaire », ajoute Virginie Lorillou.
Se fédérer
Éparpillés aux quatre coins de la France, les peintres en lettres se connaissent tous un peu sans forcément s’être rencontrés. En 2023 le Breton Tristan Gesret a organisé dans son atelier de Grand-Champ, dans le Morbihan, la toute première édition de « Martre », une rencontre nationale des peintres en lettres de France. L’idée : fédérer les peintres en lettres et réfléchir à un meilleur encadrement de la profession. La deuxième édition se déroule du 11 au 13 octobre, au même endroit. « Entre la suppression du CAP et la convention collective des peintres en lettres qui a été déclarée caduque, il est important de se réunir et de préparer l’avenir d’un métier qui revient sur le devant de la scène grâce à la mode actuelle du vintage », détaille-t-il. Lors de rencontres, tables rondes et ateliers, l’idée est de réfléchir à la réalité du métier. « C’est une activité qui fonctionne beaucoup grâce au bouche-à-oreille et est souvent assez locale, poursuit Tristan Gesret. On aime embellir le coin dans lequel on vit. Je vis en Bretagne : si on me propose un chantier à Marseille, je vais plutôt le confier à un confrère ou une consœur qui travaille là-bas. »