Les gouaches, dessins au feutre ou au stylo et encres de chine de Friedrich Dürrenmatt (1921-1990) sont peuplés d’étranges créatures, d’oiseaux annonciateurs de mauvais présage, de chiens à l’air dangereux, de rats symboles de mort, de corbeaux aux becs pointus. Ces inquiétantes représentations d’animaux semblent être étroitement liées au drame que cette grande figure littéraire suisse, auteur de pièces de théâtre devenues des classiques (Les Physiciens et La Visite de la vieille dame notamment) a vécu dans son enfance : au souvenir de l’attaque d’un berger allemand qui s’est soldée par des morsures occasionnées à ses jambes et bras. Il en résulte des œuvres plastiques saisissantes -malheureusement nettement moins connues que ses livres - figurant des hommes « unidimensionnels » et hors sol, hostiles à tout ce qui n’est pas humain. L’écrivain a pourtant vécu, toute sa vie, entouré d’animaux : de chats, de chiens, de cacatoès et autres perroquets ara. C’est sans doute ce qui le conduit à figurer aussi, de manière ambivalente, ces non humains sous un jour positif et attachant. D’une rencontre avec un bouc en montagne, il conserve le souvenir - admiratif - de la capacité des animaux à faire un avec le temps, à être en communion avec le monde qui les entoure. Son œuvre picturale renferme aussi de nombreuses créatures hybrides - centaures, minotaures, sphynx - qui symbolisent l’affrontement, en chacun de nous, d’une part sauvage et d’une part civilisée. Comme ce minotaure sous les traits duquel Dürrenmatt s’est représenté à plusieurs reprises. Un minotaure cependant très éloigné du mythe grec, car, il cherche, lui, l’amour et la communion avec ses semblables.
« Mondes animaux », jusqu’au 29 septembre, Centre Dürrenmatt, Neuchâtel, Suisse.
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