Quand j'ai rencontré le dieu au Népal, il était en train de regarder un western sur une minuscule télévision portable dans son sanctuaire. C'était à Bhaktapur, une ville de la vallée de Katmandou où l'on peut se rendre dans un café branché, dîner avec un chef étoilé, mais aussi voir des femmes faire sécher du millet sur des nattes au milieu de rues médiévales. Le dieu était un homme ordinaire jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite et se porte volontaire pour devenir le prêtre d'un sanctuaire du Bouddha Dipankara — le Bouddha du passé. La déification est l'un des avantages de ce poste. Tous les matins, il prend soin de la sculpture grandeur nature du Bouddha Dipankara dans le sanctuaire. Au Népal, les sculptures sacrées sont aussi considérées comme vivantes. On leur donne à manger et à boire, et on les habille. Elles sont baignées délicatement chaque matin. Celles du Bouddha Dipankara constituent une exception. Pour préserver leurs têtes, qui sont en bois peint ou doré, leurs gardiens utilisent un miroir pour refléter sur leur visage un rayon de soleil provenant d'un bol d'eau parfumée.
Décapé
En décembre 2022, une tête de Bouddha Dipankara a été mise en vente chez Bonhams Paris. L'annonce a été repérée par Lost Arts of Nepal, un activiste anonyme qui fait partie d'un mouvement grandissant au Népal visant à récupérer les biens culturels volés. Lost Arts tente de faire correspondre des photographies d'objets népalais mis en vente ou situés dans des collections à l'étranger avec des photographies historiques prises avant leur vol (le Népal a interdit l'exportation d'objets culturels historiques en 1954). Dans ce cas précis, Lost Arts a vu la tête dans une preview de la vente en ligne et a interrogé les communautés bouddhistes du Népal pour savoir si quelqu'un la reconnaissait. Rapidement, des membres d'un monastère de la ville de Patan se sont manifestés. Non seulement ils ont reconnu la tête comme étant celle qui avait été volée dans leur monastère en 1998, mais ils disposaient également d'une photographie. Il n'y avait qu'une seule différence. La tête était à l'origine recouverte de la peinture rouge vif caractéristique du Bouddha Dipankara du Népal. Mais les photographies de la vente montraient qu'elle avait été décapée jusqu'au bois nu.
La tête a été sculptée au XVe siècle. Une communauté de fidèles l'a préservée et entretenue pendant plus de 500 ans. Ce n'est qu'une fois qu'elle a quitté cette communauté qu'elle a été brutalement endommagée, probablement pour qu'elle corresponde davantage aux goûts des collectionneurs occidentaux.
Le Bouddha a déjà été vendu auparavant au moins une fois, en 1999 chez Sotheby's New York. En 2022, le gouvernement népalais est intervenu, en collaboration avec l'Unesco, pour demander à Bonhams d'interrompre la vente. La maison de ventes aux enchères s'est exécutée et a rendu la tête à son propriétaire. Mais le Bouddha n'est pas rentré chez lui. Au lieu de cela, la tête a de nouveau été mise en vente en juin, par la galerie Le Toit du Monde à Paris. Conformément à la législation française, qui protège les acquéreurs d'objets volés à condition qu'ils n'aient aucune raison de soupçonner leur origine illicite, le Bouddha Dipankara peut ainsi rejoindre un certain nombre d'autres dieux népalais dans les limbes français. Dans les années 1970 et 1980, une douzaine de sculptures en bronze doré ont ainsi été arrachées de la porte d'un palais situé sur la place Darbâr de Patan, classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Ces sculptures du XVIe siècle avaient autrefois gardé le bâtiment central de la ville, qui servait à la fois de siège au gouvernement et de lieu de culte. En 2021, Lost Arts a identifié cinq de ces sculptures lors d'une vente aux enchères à Bonhams Paris. Celle-ci a également été interrompue, et les sculptures sont restées dans une collection privée.
Le même sort a été réservé à un ensemble de montants sculptés en bois qui décoraient autrefois un temple de la vallée de Katmandou. Également mis en vente en juin dernier par Artcurial Paris, ils n'ont pas trouvé preneur, peut-être en raison du tollé suscité sur les réseaux sociaux. Mais comme le Népal n'est pas en mesure de les réclamer, ils sont probablement retournés chez le collectionneur anonyme qui souhaitait les vendre. Le Népal peut au moins espérer que celui-ci changera d'avis et proposera de restituer volontairement ces dieux volés, comme d'autres l'ont fait. Jusqu'à présent, la seule offre émanant d'un collectionneur français a été faite par une personne qui voulait que le Népal lui rembourse ce qu'il avait payé – ce que le pays, en proie à des difficultés économiques, ne peut se permettre de faire, même s'il est disposé à encourager le marché.
Usage communautaire
La situation est encore plus désespérée pour les objets conservés dans les musées français. Au début des années 2000, le musée Guimet a reçu la preuve que deux sculptures en pierre qu'il conserve avaient été volées à des communautés du Népal entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. Le musée ne conteste pas ce fait ; en effet, lors d'une exposition en 2021, les sculptures ont été exposées aux côtés de textes reconnaissant la propriété du Népal. Mais les négociations en vue d'une restitution n'ont pas abouti.
Pour les Népalais, la question n'est pas de déterminer si une œuvre d'art devrait être exposée au Népal plutôt qu'en France. Ils veulent que leurs dieux reviennent dans leur sanctuaire. Ils veulent les vénérer à nouveau et recevoir leur bénédiction. De nombreux Népalais soulignent également les avantages sociaux de la restitution du patrimoine : les objets renforcent des rituels communautaires millénaires. Par exemple, dans les villes de la vallée de Katmandou, les communautés sortent leurs Bouddhas Dipankara lors des festivals. Ils défilent dans la ville et sont rassemblés sur des places pour recevoir les hommages des fidèles qui festoient ensuite ensemble. Ce joyeux usage communautaire est impossible quand les têtes ont été volées et sont cachées dans un entrepôt ou, au mieux, dans le salon d'un collectionneur.
Obligations éthiques
Interrogé, François Pannier de la galerie Le Toit du Monde affirme qu'il ne dispose d'aucun document sur l'exportation de la tête du Népal. Il a demandé à l'ambassade népalaise en France des preuves supplémentaires des affirmations de Lost Arts, mais « ils n'ont jamais répondu, car manifestement la pièce n'a pas été volée ». François Pannier évoque la possibilité que des objets sacrés tels que la tête soient vendus volontairement par leurs communautés et réitère l'idée, répandue parmi les collectionneurs étrangers, selon laquelle les derniers rois du Népal ont profité du vol du patrimoine culturel. Le galeriste demande à Lost Arts d'examiner « la source des trafics » plutôt que de poursuivre les collectionneurs.
Les experts juridiques népalais consultés ne sont pas d'accord avec François Pannier. La législation népalaise interdit aux communautés de vendre des objets sacrés depuis au moins le XIXe siècle. De plus, le Népal est aujourd'hui une démocratie constitutionnelle, la monarchie ayant été abolie en 2008. On ne peut pas se soustraire aux obligations éthiques envers le peuple népalais actuel en se fondant sur les prétendus méfaits de quelques-uns de ses anciens dirigeants – méfaits qui n'auraient pas eu lieu sans la demande de ce genre de biens volés.
Et malgré les rumeurs, la famille royale n'est apparue dans aucun des cas où il a été possible de déterminer l'identité des Népalais concernés. L'absence d'action rapide de la part de l'ambassade du Népal, qui doit faire face à de nombreux problèmes plus immédiats, n'est pas surprenante. Après tout, si le musée Guimet met plusieurs décennies à se pencher sur la question de ses pièces népalaises, on peut bien accorder le même délai au Népal. Pourquoi voudrait-on posséder une œuvre d'art sacrée volée, surtout lorsque la communauté qui l'a perdue demande qu'on la lui rende ? Peut-être les collectionneurs se rendront-ils compte qu'ils pourront mieux apprécier « leurs » œuvres lors d'une visite après leur restitution. Ils pourront allumer une bougie, respirer un peu d’encens et s’installer pour méditer... ou regarder un film.