En novembre 2023, lors des Assises de l’économie de la mer, Emmanuel Macron décrétait que l’année 2025 serait celle de la mer. En plus de la conférence des Nation unies pour l’océan, à Nice, les journées du patrimoine seront dédiées l'an prochain aux enjeux maritimes et la fête de la science aura pour thème les océans. De leur côté, artistes et commissaires d’exposition travaillent cette question depuis longtemps. En France, les contours d’une histoire culturelle de la mer et des océans, dite « histoire de l’art bleue » en référence aux blue humanities anglo-saxonnes, commencent à se dessiner. Que dit la mer de la construction de nos imaginaires politiques, écologiques et poétiques ?
Dans les deux dernières décennies aux États-Unis et en Grande-Bretagne, le tournant vers les « humanités bleues » a coïncidé avec la notion d’anthropocène et l’impact des préoccupations et études environnementales sur les sciences humaines. Mais les blue humanities émergent en réalité de la philosophie européenne. Publié en 2002, le recueil L’Île déserte et autres textes (1953-1974) de Gilles Deleuze a eu une influence considérable sur toute une génération de théoriciens et de critiques, qui considèrent les rivages et les îles non seulement comme des sites immersifs de contact avec l’eau et la mer, mais aussi comme des lieux de connectivité. Ainsi l’historien John Gillis, dans son livre Islands of the Mind: How the Human Imagination Created the Atlantic World (2004), s’intéresse à la relation entre les mers, les îles et l’essor de l’Occident.
Pour autant, la proximité avec l’eau n'est pas seulement un épisode de la poétique de l’immensité océanique. Il s’agit davantage aujourd'hui d’imaginer un avenir marqué par l'inexorable montée des eaux, qui modifiera les conditions des habitats humains. Récemment, l’objectif principal des blue humanities dans le monde anglophone s’est déplacé, comme l’affirme avec force le critique littéraire Steve Mentz dans son récent ouvrage An Introduction to the Blue Humanities (2024). Partant de l’histoire des eaux et des politiques environnementales, il dérive vers la description de phénomènes plus vastes dus au contact avec les corps aquatiques – la relation entre l’humain et le non-humain, la désorientation et la formation de nouvelles collectivités. En outre, la métaphore de la couleur bleue n’est pas exempte de critiques : s’appuyant sur les photographies en gros plan de blocs taillés de lapis-lazuli de l’artiste néerlandais…