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Duel de divas au divan

Duel de divas au divan

Un parisien de la Belle-Époque pouvait la reconnaître en un coup d'œil, même sans tête. Ses mains gantées de noir étaient sa signature. Mais Yvette Guilbert n'est pas le modèle phare de cette étude sur carton brun pour le Divan Japonais (1892), célébrissime affiche réalisée pour le cabaret éponyme par Henri Toulouse-Lautrec (1864-1901). La chanteuse est reléguée au second plan, éclipsée par Jane Avril, danseuse du Moulin-Rouge maintes fois peinte par l'artiste. Assise à côté du critique d'art Édouard Dujardin, on ne sait vraiment si elle s'intéresse au spectacle. « Le Divan Japonais est une publicité pensée pour faire venir les spectateurs, mais c'est aussi une publicité pour Jane Avril, une manière de dire aux spectateurs qu’ils verront des stars sur scène comme dans le public ! » relate Antoine Lebouteiller, directeur du département d'Art Impressionniste et Moderne chez Christie's Paris. La maison présente l'œuvre le 18 octobre lors de sa vente « Avant-Garde(s) Including Thinking Italian », avec une estimation haute de 3,5 millions d'euros. « C’est une étude très aboutie, avec un vrai travail sur la figure de Jane Avril, poursuit Antoine Lebouteiller. La peinture à l’essence bleue donne force et dimension aux volumes de la robe. On perd cet aspect dans la version finale de l'affiche, qui se rapproche du style de l’estampe japonaise en vogue à l’époque. ». Régulier des cabarets, théâtres et maisons closes de Montmartre, Toulouse-Lautrec réalisa durant la décennie 1890 une trentaine d'affiches publicitaires. En France et à l'international, 39 lithographies du Divan Japonais sont conservées, du musée d'Orsay au MoMA à New York. L'étude proposée par Christie's appartient depuis le début des années 1930 à une famille française qui l'exposait chez elle. On lui connaît comme propriétaires antérieurs Georges Viau, S. Sevadjian et J. B. Stang, collectionneur norvégien qui posséda un temps Les joueurs de cartes de Cézanne. « Le marché des études de Toulouse-Lautrec est stable, oscillant ces vingt dernières années entre 3 et 12 millions, analyse Antoine Lebouteiller. Nous espérons créer la surprise car cette œuvre est une quasi-redécouverte, qui n'a pas été montrée publiquement depuis 1931.»

Article issu de l'édition N°2864