RN : obsession patrimoniale et audiovisuel public à l'encan
Le RN mise sur un slogan simple : « Défendre votre pouvoir d'achat, votre sécurité et votre identité ». Le programme fait l’impasse sur la question culturelle et nos sollicitations sont restées sans réponse. Toutefois, avec 89 questions au gouvernement sur la culture lors de la XVIe législature de l’Assemblée nationale, les députés d’extrême-droite se sont montrés particulièrement concernés. À titre de comparaison, le groupe LFI-NUPES, au nombre de députés similaire, n’en a posé que 56, les LR 35.
Encore flou dans son application, le projet de privatisation de l’audiovisuel public a été confirmé comme une priorité par Jordan Bardella. Autrement, le respect des acquis domine. Les deux lois sur les restitutions des biens culturels, tant issus de spoliations nazies que concernant des restes humains, ont reçu les faveurs du RN. Ce respect est toutefois teinté de changements discrets mais profonds. Alors que le Pass Culture, mesure phare d’Emmanuel Macron, est défendu, Jean-Philippe Tanguy, député RN (l’un des rares avec son confrère Julien Odoul à s’illustrer dans le parti sur la question culturelle), fustige l’accès qu’il donne aux mangas et propose d’en réduire la portée en le « réservant aux places de spectacles, aux musées non nationaux ou aux achats dans des librairies indépendantes ». Traditionnellement peu tourné vers la création artistique, le RN a toutefois dénoncé « la crise majeure que connaissent actuellement les maisons d'opéra », et la fermeture de l'École supérieure d'art et de design (ESAD) de Valenciennes en en faisant le porte-étendard d’une mobilisation pour « participer activement à la sauvegarde du patrimoine éducatif artistique de la France (..) [car] il est du devoir de la Nation de reconnaître et de valoriser les artistes en formation, car ils représentent l'avenir de la culture et de l'identité française », explique la députée Sophie Blanc.
L’identité française forme la justification première de la politique culturelle du RN. Le patrimoine, cette « expression, parfaite, de la civilisation française » selon Marine Le Pen se taille donc la part du lion. La cheffe du parti l’affirme, « il tient une place majeure dans le programme de redressement moral du pays ». Malgré une demande contradictoire d‘assouplir la législation de protection des monuments, notamment concernant l'obligation de consultation de l'architecte des Bâtiments de France (ABF) en cas de travaux sur des bâtiments situés autour d'un site classé, les propositions pleuvent : allègement de la fiscalité des propriétaires privés, augmentation des crédits, extension du statut d’entreprise solidaire d'utilité sociale à la sauvegarde du patrimoine, bataille franche contre les éoliennes... Les raisons de cette défense sont à chercher dans la capacité du patrimoine à servir la « préférence nationale ». Le patrimoine religieux, comprendre catholique, occupe le devant de la scène avec 12 questions au gouvernement sur 89 portant à son sujet. Outre la commande de vitraux jugés « scandaleux » de Notre-Dame de Paris, le RN a initié une demande d’inscription au patrimoine immatériel de la liturgie tridentine, cette messe traditionnelle à la célébration limitée.
Dans cette vision identitaire, le programme « La Relève », porté par Rima Abdul Malak, a été attaqué avec virulence, tout comme la publicité du musée national de l'Histoire de l'immigration qui présentait Louis XIV comme étant un étranger « au motif que sa mère était espagnole et sa grand-mère autrichienne, ce qui ne ferait pas de lui un Français ! ». Le projet d'interdire l’accès des « binationaux » aux « postes stratégiques » pourrait toucher le monde de la culture : l’actuelle ministre, Rachida Dati est franco-marocaine, l’ancien président de la RMN-Grand Palais, Chris Dercon, belge, tandis que le musée national d'Art moderne a été autrefois dirigé par un Suédois, Pontus Hulten, et un Allemand, Werner Spies. Par un jeu rhétorique assumé, le RN investit la culture tant qu’elle répond à sa vision idéologique d’uniformité, tout en justifiant ses prises de position par la lutte pour le « pluralisme et l'impartialité », ainsi que le défend Sophie Blanc face à l’audiovisuel public. La volonté de mise au pas de toute voie dérangeante, ADN même de la création artistique, est omniprésente. Alors que les charges des députés RN contre la presse sont légion (Libération, France 24, France Info Junior, AFP…), Marie-France Lorho, députée du Vaucluse, s’est élevée contre la décision du Conseil d'État d’enjoindre l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) de « prendre en compte la diversité des courants de pensée et d'opinions représentés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés ». Arguments avancés : cette décision « paraît inapplicable » et semble « menacer la liberté d'expression ».
Nouveau Front Populaire : la culture à 1 % du PIB
Réunis au sein de la coalition du Nouveau Front Populaire, les partis de gauche (La France Insoumise, Les Écologistes, le Parti communiste français et le Parti socialiste) défendent « un service public des arts et de la culture » ainsi que des « médias au service de l’émancipation » à travers six mesures dans leur programme commun.
La première : porter le budget public « consacré à l’art, la culture et la création » à 1 % du PIB par an, soit 28 milliards d’euros - une multiplication colossale de l'enveloppe actuelle (4,4 milliards d'euros). Difficile encore de savoir ce que recouvre exactement ce budget augmenté, et s'il prend notamment en compte l'audiovisuel public. Sarah Legrain, député sortante La France Insoumise de la 16e circonscription de Paris et candidate à sa réélection, justifie cette hausse par la différence fondamentale de projet politique entre la gauche et le gouvernement actuel : « Sous l’ère Macron, on s’est habitué à un certain manque de vision de la culture, et donc à un assèchement budgétaire. » Pour l’élue, cette politique culturelle est fondée sur « une logique d’appel d’offre » et « une vision consumériste de la culture » quand le Rassemblement national propose de l’autre côté « une vision identitaire et figée ». Elle s’interroge : « Où est la place pour la part émancipatrice de la culture ? »
Autre mesure majeure de la gauche : « la création d’un nouveau régime pour les artistes-auteurs », dans la continuité de la proposition de loi déposée en mars dernier par le député communiste sortant Pierre Dharréville. « Il faut que les artistes soient reconnus pour leur travail », explique Sarah Legrain. Cette mesure va de pair avec l’amélioration du régime des intermittents. « Dans le secteur du spectacle vivant, la crise est forte ; il y a un effort d’urgence à faire », alerte la députée insoumise.
Le Nouveau Front Populaire défend aussi « la gratuité de tous les musées nationaux », « une tarification abordable dans les institutions publiques » et l’encadrement des « tarifs abusifs des lieux privés ». Des mesures ambitieuses aux contours encore floues. Pourtant, selon Sarah Legrain : « Il est possible d’encadrer ces tarifs, comme pour le prix du livre. La culture c’est aussi un secteur de l’économie, mais ce n’est pas un secteur marchand comme les autres. »
La coalition de gauche souhaite également « limiter la concentration des médias » et « exclure des aides publiques les médias condamnés pour incitation à la haine ou atteinte à la dignité de la personne » mais aussi « défendre l’indépendance des rédactions face à leurs propriétaires ». À l’opposé du projet de fusion de l’audiovisuel public, porté par l’actuelle ministre de la Culture Rachida Dati, et celui de sa privatisation, défendue par le Rassemblement national, la gauche veut « garantir la pérennité d’un service public de l’audiovisuel ».
Cet investissement massif dans le secteur culturel et médiatique est pris en en compte dans le chiffrage du programme présenté vendredi 21 juin en conférence de presse, avec l’appui de trois économistes : Julia Cagé, Éloi Laurent et Éric Berr. Le montant des dépenses publiques total, en comptant celles pour la culture, est évalué à 150 milliards à la fin de l’année 2027, compensé par des nouvelles rentrées fiscales (taxe sur les superprofits, ISF, suppression de certaines niches fiscales, suppression de la flat tax, impôt sur les bénéfices des multinationales, taxe sur les transactions financières).
Renaissance : Pass Culture et fusion de l'audiovisuel public
Dans le programme culturel de Renaissance, le Pass Culture reste sur sa lancée et constitue l’élément fondamental des propositions. Réforme prioritaire du gouvernement, il s’est jusqu’ici appuyé sur une application vouée à favoriser l’accès des jeunes aux arts et à la culture, mais avait également pour objectif de diversifier leurs pratiques. En fonction de leur âge, le dispositif leur permet de bénéficier d’un crédit (jusqu’à 300 euros pour les majeurs), de dépenser ce montant dans une palette d’offres en format physique ou numérique et de s’initier ou approfondir une pratique artistique. Parallèlement, dans le cadre de la politique d’Éducation Artistique et Culturelle (EAC), un volet collectif fait l’objet d’une attribution directe aux établissement scolaires, destinée à prendre en charge des activités réalisées en groupes et encadrées par les professeurs. Par ailleurs, à travers le Printemps de la ruralité, la coalition « Ensemble » souhaite poursuivre sa démarche de concertation nationale sur la vie culturelle en milieu rural, afin d’être en mesure d’annoncer un plan culture et ruralité. En effet, alors qu’un tiers de la population hexagonale vit dans ces milieux ruraux, soit quelque 22 millions de Français – 15% dans des bourgs et 18% dans des zones à habitat dispersé ou très dispersé -, l’offre culturelle apparaît souvent moins dense pour eux.
Enfin, le projet de fusion de l’audiovisuel public amorcé avant la dissolution de l’Assemblée nationale devrait être maintenu : porté par Rachida Dati, la ministre de la Culture, il revendique « un audiovisuel public fort » dans un contexte marqué par la montée en puissance de groupes privés et une intensification de la désinformation. Il ne s’inscrit pas dans une remise en question du statut d’intermittent et s’oppose à la logique de privatisation annoncée par certains programmes culturels concurrents. Face aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ou Netflix, la volonté affirmée de la ministre de la Culture de faire naître une « BBC à la française » est soutenue par la liste « Ensemble pour la République », émanation de Renaissance. Le projet prévoit notamment la création d’une holding « France Médias » pour préparer la fusion de France Télévisions, Radio France et de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) à l’horizon 2026. Dans une logique de continuité du programme culturel initial, d’autres engagements devraient être poursuivis, concernant les États généraux de l’information, la circulation du spectacle vivant ou encore le patrimoine. Sur ce dernier point, la perspective de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris avant la fin de l’année 2024 est envisagée comme un geste particulièrement fort.
Les Républicains : initiatives culturelles sur tout le territoire
L’annonce de l’alliance entre Éric Ciotti, le président des Républicains, et le Rassemblement national a déclenché un véritable séisme dans le parti. Dans ce contexte, difficile de dégager une ligne claire avec un camp désormais scindé entre les pro et les anti-Ciotti. Ces derniers ont présenté 10 mesures clés dans leur profession de foi sur le pouvoir d’achat, l’immigration, le logement… Mais rien sur la culture. Pour avoir un éclairage sur le positionnement du parti, nous avons interrogé Annie Genevard, secrétaire générale des Républicains et députée de la 5e circonscription du Doubs, nommée présidente par intérim du parti.
« Dans le domaine de la culture, la concentration des acteurs et des équipements dans les villes posent le problème de l’équité territoriale. Nous pensons qu’il faut développer des initiatives culturelles dans tout le territoire, soutient d’abord l’élue. Mais les communes doivent rester les premiers financeurs. Cela signifie qu’il faut que l’État laisse les communes plus libres. » Annie Genevard insiste ensuite sur les questions patrimoniales : « Il faudrait simplifier la procédure de classement des monuments historiques et supprimer la taxe sur le Loto du patrimoine. » Les Républicains se positionnent aussi en défenseurs de la langue française et contre l’écriture inclusive. Par ailleurs, la secrétaire générale des LR affirme vouloir « soutenir l'ensemble de la chaîne artistique » en encourageant notamment le mécénat d’entreprise. Sur l’audiovisuel public, le parti est en accord avec la réforme engagée par Rachida Dati qui s’appuie sur une proposition de loi sénatoriale déposée par Laurent Lafon et ses collègues des groupes Union Centriste et Les Républicains.