Le Quotidien de l'Art

L'image du jour

Quand nous regardons

Quand nous regardons

Assis sur un tabouret, un jeune garçon au regard douloureusement baissé, la bouche franchement boudeuse, pour ne pas dire écœurée, tient sur ses genoux un avion bleu, qui semble prêt à lui échapper. La couleur fraîche et délicate du jouet se détache au centre de la toile. D'une intense mélancolie, Boy with a Toy Plane est un tableau de 1938 d'Aaron Douglas (1899-1979), peintre de fresques spectaculaires très éloignées de ce portrait, et leader emblématique de la Harlem Renaissance, ce mouvement intellectuel et artistique noir des années 1920-1930 dont on peut voir une éblouissante rétrospective au Metropolitan Museum (jusqu'au 28 juillet). Ça n'est pas à New York mais à Bâle, au Kunstmuseum, qu'est présentée l'œuvre, dans une exposition avec laquelle elle résonne fortement : « When We See Us », venant du Zeitz MOCAA du Cap, en Afrique du Sud, a été conçue par les curatrices Koyo Kouoh et Tandazani Dhlakama. « Un siècle de figuration noire en peinture » est son sous-titre, et en 156 œuvres, la démonstration est impeccable : c'est celle, des années 1930 à aujourd'hui, du Zimbabwe aux États-Unis en passant par les Caraïbes, d'une émancipation par la représentation de soi (le « nous » est de mise dans le titre comme dans les cartels). Revendiquant le « triomphe » et la « joie », l'exposition ne fait pas l'impasse sur les grincement que provoque le « boom » du Black portrait sur le marché de l'art. Il est certain que la figuration noire est plus visible dans la peinture actuelle, notamment dans les galeries. À cela plusieurs facteurs : la redécouverte de trajectoires interrompues d'images ; une plus grande visibilité des artistes du continent africain et des diasporas, grâce notamment au développement des structures d'art locales (écoles, musées, galeries...) ; l'émergence, en particulier aux États-Unis, d'une classe sociale bourgeoise noire, figurant aux boards des grands musées, qui collectionne les artistes afro-descendants dans lesquels elle trouve des supports de représentation ; sans négliger l'effet de mode, accentué par certains marchands. Mais le « portrait noir » n'est pas une nouveauté. C'est simplement que nous ne regardions pas.

Article issu de l'édition N°2848