Vesoul, octobre 1870. Vous êtes élève à l’école de dessin, municipale et gratuite, et vous suivez un cours du soir. Dans ce cours du soir, vous apprenez à dessiner d’après la bosse. D’après la bosse, cela signifie que l’on dessine les moulages en plâtre qui se trouvent devant nous. Puis vous rentrez chez vous et, en rentrant, vous entendez une rumeur : l’armée prussienne arriverait en Haute-Saône, et effectivement, quelques jours plus tard, vous ne pourrez plus remettre les pieds dans votre école, l’armée ayant pris possession des locaux et accaparé le mobilier.
Durant plus d’une année, les élèves de l’école de dessin n’ont donc pas pu suivre leurs cours de dessin avec leur professeur Victor Jeanneney. Celui-ci avait tout de même anticipé cette situation, puisqu’il avait réussi à sauver une partie de la collection de modèles en plâtre, grâce à des parents d’élèves qui avaient bien accepté de les conserver chez eux. Peu à peu, au XXe siècle, les moulages en plâtre sont délaissés, ils prennent de la place et leur entretien engendre un certain coût. Dans plusieurs institutions municipales, ce sont des salles et des greniers entiers qui sont réquisitionnés pour le dépôt de ces plâtres. C’est le cas à l’école et dans l’ancien collège de Vesoul, où des salles entières sont dédiées à leur dépôt. Comme ils coûtent cher à entretenir et qu’ils prennent de la place, on décide de s’en débarrasser au fur et à mesure. Certaines institutions les jettent à la poubelle, d’autres les donnent aux élèves, d’autres encore les confient aux administrations telles que les hôtels de ville, afin qu’elles puissent décorer leurs locaux.
Depuis quelques années, les musées municipaux s'intéressent de nouveau à ces moulages parce qu’ils sont utiles à la conservation des œuvres originales, qu’ils font partie du patrimoine local, et qu’ils sont protégés au titre de matériel pédagogique aux côtés d’autres objets scientifiques. Dans cette logique à Vesoul, depuis 2003 et ce jusqu’à 2023, ce sont 106 plâtres qui ont été redécouverts dans les greniers des institutions après plusieurs campagnes de recherches, dans les greniers de l’hôtel de ville et les greniers adjacents au musée notamment.
Mon mémoire de recherche, dans un besoin de conservation et de documentation, a alors débuté par un récolement, suivi d’une recherche dans 24 catalogues de ventes et quatre catalogues d’études précédentes afin d’identifier les œuvres originales de ces modèles. Aujourd’hui, 80 modèles ont pu être identifiés.
Ensuite, il convenait de rechercher les ateliers ayant produit les moulages. Grâce aux catalogues de ventes, aux numéros et aux estampilles présentes sur les plâtres, ce sont 59 moulages qui ont pu être rattachés à un atelier. Enfin, grâce aux étiquettes présentes sur ceux-ci, 33 modèles ont pu être attachés à une utilisation dans un établissement vésulien, puisqu’il y avait six établissements où l’on dispensait des cours de dessin.
Alors, si vous découvrez un moulage en plâtre dans votre grenier, ne le jetez pas à la poubelle, il a peut-être survécu à bien plus que vous ne le pensez.
Laura Perrin
Née en 1999 dans le Doubs, elle grandit en Haute-Saône. Après une licence en histoire de l’art et archéologie à l’université de Franche-Comté, elle obtient ensuite un master en sciences pour l’histoire de l’art, avec un mémoire de recherche sous la direction de Sophie Montel (ISTA UR 4011) et le soutien de Sabine Gangi (directrice du musée municipal Georges-Garret, où elle a travaillé durant ses études). Poursuivant sa recherche sur les plâtres, elle va débuter à Lyon, au musée des Moulages de l’Université Lumière Lyon 2, en tant que régisseuse des collections et des expositions.