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Charles III : un portrait dans le rouge

Charles III : un portrait dans le rouge
Jonathan Yeo, His Majesty King Charles III, 2024.
© Jonathan Yeo. Photo : His Majesty King Charles III by /SIPA.

La scène est digne d'un sketch des Monty Python. Ce 14 mai, sous les ors de Buckingham Palace, le roi d'Angleterre Charles III tire sur un cordon rouge. Un drap noir s'effondre, faisant sursauter le jeune souverain de 75 ans. De quoi a-t-il eu peur ? La mise en scène découvre son portrait, réalisé par le peintre britannique Jonathan Yeo, 53 ans, portraitiste de célébrités contemporaines telles que Paris Hilton, George W. Bush, Madonna ou Kevin Spacey, dans un style réaliste pompier à même de flatter les égo de ses commanditaires. Pour ce portrait officiel de deux mètres de haut commandé par la Drapers' Company, et qui rejoindra son siège, le Drapers' Hall à Londres, l'artiste a choisi un fond en dégradé de rouges, allant du pastel au carmin vif. Appuyé sur son sabre, le roi, en costume d'apparat de colonel des Welsh Guards, semble s'enfoncer dans un magma sanguinolent, à moins qu'il ne surgisse des flammes de l'Enfer, dont la lueur se reflète dans ses yeux brillants. Un aller-retour dans la matière picturale qui n'est pas sans rappeler le portrait beaucoup plus jovial de l'ex-président américain Barack Obama, représenté en 2009 par Kehinde Wiley à demi plongé dans une nature luxuriante. Suggestion royale, un papillon voletant au-dessus de son épaule, et qui semble prêt lui aussi à s'évanouir dans le brasier, vient à peine donner un peu d'air à la représentation. Largement critiquée par la presse et sur les réseaux sociaux depuis son dévoilement, la toile de Jonathan Yeo pourrait cependant être jugée excellente par sa cruelle pertinence, si elle n'avait pas été réalisée dans le cadre d'une commande officielle, pour laquelle le roi a posé quatre fois. Car comment ne pas voir dans cet all-over rouge, que l'artiste qualifie d'« hommage à l'héritage royal », une référence à l'histoire sanglante de l'ancien empire colonial, aujourd'hui isolé par le Brexit et sa politique migratoire impitoyable ? Parmi les commentaires, on relève notamment ceux évoquant une monarchie qui a « du sang sur les mains », la référence aux lancers de soupe à la tomate des militants écologistes dans les musées, ou encore le fameux tampongate issu d'une conversation avec Camilla Parker-Bowles, aujourd'hui reine consort... Quoi qu'il en soit, l'œuvre rejoint involontairement l'histoire du portrait terrifiant d'homme puissant, depuis le pape Innocent X de Velázquez jusqu'à sa reprise par Francis Bacon et aux inventions plus récentes d'heroic fantasy à la Game of Thrones. 

Article issu de l'édition N°2835