En peignant Le Bassin d’Argenteuil vers 1872, Claude Monet se doutait-il que 150 ans plus tard, sa reproduction serait brandie lors d’une manifestation pour s’opposer à la « bétonisation » de l’île Héloïse, ancien îlot de la Seine ? Pourtant, la ville du Val-d’Oise a bien changé depuis. Elle opérait déjà sa mue industrielle quand le peintre y résida, durant sept ans. Le chemin de halage, visible sur la toile, a disparu sous une route à quatre voies. De l’autre côté, une salle des fêtes a été construite en 1970 dans le style de l’époque. Mais des habitants n’acceptent pas que ce haut lieu de la vie culturelle et associative laisse place à un ensemble immobilier d’une autre ampleur, confié au promoteur Fiminco par le maire Georges Mothron (LR).
« Bien sûr, les lieux ont changé, reconnaît Claudine Cazals, présidente du comité d’opposition. Mais nous estimons que ce coin connu dans le monde entier grâce à Monet, Sisley, Caillebotte... c’est du patrimoine immatériel. » Une chose est sûre, le projet, s’il aboutissait, éloignerait davantage le souvenir du paysage impressionniste. L’agence conceptrice Fresh Architectures promet aussi de « s’inspirer du regard de Monet sur les paysages d’Argenteuil, en utilisant des matières et des tonalités en harmonie avec les berges de la Seine ». Une demande du maire qui inscrit le projet de l’île Héloïse dans un programme plus vaste de « reconquête des berges », où l’image du peintre a toute sa place. En mai 2022, dans une maison qu’habita Monet, transformée en musée numérique, Georges Mothron signait une convention de partenariat avec le président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, incluant un volet social et culturel pour des jeunes en réinsertion et un volet environnemental inédit. Épaulée par des experts, l'institution se propose d’accompagner la ville dans la végétalisation de 850 mètres de ses berges (ailleurs que l’île Héloïse), « repensée au regard de l’étude des représentations des paysages d’Argenteuil figurant dans les collections des deux musées ». Soit 16 tableaux, dont dix Monet.
« Aujourd'hui, les berges de Seine ne ressemblent plus du tout aux paysages de nos peintres, du fait de l’urbanisation et d’une plante invasive, la Renouée du Japon », explique Virginie Donzeaud, administratrice générale adjointe des musées d’Orsay et de l’Orangerie, en charge de leur politique environnementale. Ce projet vertueux de séquestration carbone, financé à hauteur de 75 000 euros sur trois ans par l'établissement, reste néanmoins ambigu. Car si une…