Le point de départ est le film qu'Ali Cherri a produit pour cette exposition, The Watchman : un jeune soldat inexpérimenté a pour seule mission de surveiller une frontière dans un pays méditerranéen, répétant chaque jour les mêmes gestes. À son regard, on mesure toute la peur de défaillir ou de voir déferler l'ennemi. Il porte toute son attention sur cet horizon où rien ne se passe, jusqu'à ce que ce jeune homme se perde dans cet interstice entre le réel et le rêve, un moment où les deux mondes se touchent et où tout devient possible. Alors il s'échappe, invité à suivre une armée fantomatique aux yeux clos, une façon de donner corps à cette éternité qu'il vit et à tous ces soldats morts avant lui. À partir de ce film qui nous met sous tension, Ali Cherri tire le fil avec des dessins du rouge-gorge qui percute mortellement la vitre de son poste de garde, une série de têtes monumentales de cette armée imaginaire aux yeux clos, des soldats, un aigle démembré, des cactus mourants... Si l'artiste a choisi Chypre comme décor et la frontière non reconnue de la République turque de Chypre du Nord, il dépasse le contexte pour aborder l'absurdité de la guerre de façon plus générale, celle de son Liban natal ou d'autres territoires voisins. Il cherche à toucher à l'humain dans son essence, à travers les émotions communes (ici notamment la souffrance) qui nous relient et qui constituent le véritable terreau sur lequel construire la suite de l'histoire. C'est pourquoi il utilise de la terre pour créer ses sculptures, renvoyant aux cosmogonies (Khnoum façonne l'être humain sur son tour de potier), aux mythes ou à la Bible : Enkidu ou l'Homme ont été créés à partir de glaise. L'exposition sera présentée à partir de février 2024 au Frac Bretagne, dans une scénographie revisitée.
« Ali Cherri. Dreamless Night », jusqu'au 14 janvier 2024 au GAMeC, Bergame, Italie
gamec.it