Nous avons commémoré en mars dernier le 20e anniversaire de l'invasion de l’Irak. Comment avez-vous abordé cette date ?
C'était une période difficile. Je me souviens avoir été submergé d’émotions, notamment en raison de la manière dont cela a été présenté, en le contextualisant comme un souvenir lointain pour les États-Unis. Mais pour le peuple irakien, cela a toujours lieu. La guerre a eu des effets durables, qui se poursuivent.
Ce manque de reconnaissance aux États-Unis vous a-t-il surpris ?
Je ne pense pas qu'il y ait eu quoi que ce soit d'appris. Toute reconnaissance qui découle de la commémoration d'un anniversaire autour d'un chiffre est une mascarade. Rien n'a été fait en termes de réparations. Même si l'on considère la reconstruction du musée de Mossoul avec le soutien du musée du Louvre ou du Smithsonian, où est la conversation sur les restitutions ? Qu'en est-il de tous ces objets qui ont été perdus dans ces musées ? Où est la solidarité des musées pour penser avec le peuple irakien qu'il y aura un réapprovisionnement de ce qui a été détruit et ciblé en grande partie parce que l'Occident a un appétit insatiable pour ces objets, mais jamais pour les personnes ? Cela me met en colère.
À la Jane Lombard Gallery de New York, votre exposition « The Monument, The Monster and The Maquette » abordait les monuments tels des monstres composés de couches de violence, les révélant comme lieux de pouvoir. Dans le contexte des restitutions, comment aborder les arguments affirmant que les antiquités mésopotamiennes sont de l'histoire ancienne sans gardiens contemporains ?
J'adore l'idée d'un musée encyclopédique, mais un musée encyclopédique n'existe pas sans être un musée impérial. Si l'on réfléchit aux lieux où existent les musées encyclopédiques, il n'est pas surprenant de réaliser que c'est principalement en dehors des endroits d'où proviennent les œuvres. Ce n'est pas réciproque. Que signifie pour ces pays d'avoir volé et forcé d'autres pays à regarder leur patrimoine en fragments ? Et pour ceux-là, d’avoir mis leur patrimoine en pièces en l'envoyant de manière permanente dans ces endroits ? J'essaie plus ou moins d'éliminer le mot « ancien » de mon propre vocabulaire car je trouve cela violent. Le peuple assyrien existe toujours. Dire qu'un objet est ancien permet de le placer de manière justifiable dans son propre contenant historique et temporel d’où il ne se connecte pas au présent, alors qu'en réalité il l’est. Donc, pour moi, il est très important aussi que les peuples soient restitués aux œuvres. Je n'ai pas besoin que le British Museum réplique en disant : « Le peuple assyrien est aujourd'hui principalement en dehors de l'Irak, donc il appartient à l'extérieur ». C'est au peuple assyrien de décider. Mais cela ne peut pas se limiter à la restitution des objets. Il y a beaucoup plus de couches complexes à cela. Il doit également y avoir une reconnaissance en Irak de la manière dont les minorités ont été traitées, en particulier les minorités autochtones comme les Assyriens, les Yézidis, les Kurdes et d'innombrables autres identités qui composent ce territoire appelé Mésopotamie – ce qui est aussi un terme imparfait. Depuis 2021, tous les panneaux que j'ai réalisés du palais nord-ouest de Kalhu, nom assyrien de Nimrod (pour la série « The invisible enemy should not exist, Northwest Palace of Nimrud », ndlr), utilisent désormais non seulement des emballages de nourriture en arabe et en anglais, utilisés par des Assyriens et des Irakiens dans leur ensemble (juifs ou non), mais aussi de l’assyrien moderne et du cunéiforme. J'espère que cela permettra aux différents groupes de personnes connectés à cette imagerie et à l'idée de ce qu'on appelle Mésopotamie d'être présents dans les œuvres.
Vous en avez assez que les gens posent la question : « À qui cela appartient ? »
Ce que je veux dans ces conversations, ce n'est pas seulement le retour de l'œuvre à sa place, mais aussi celui des personnes à leur lieu d'origine. J'adore le fait que les Irakiens veuillent récupérer les archives juives (détenues temporairement par les États-Unis depuis 2003, ndlr). Je ne pense pas que cela puisse se faire sans une véritable reconnaissance de ce qui est arrivé à cette communauté. Mais le fait que les Irakiens reconnaissent maintenant que la présence juive dans ce pays est importante à préserver, c'est très différent de l'époque où Saddam Hussein réécrivait l'histoire du pays et éliminait, par exemple, la contribution des musiciens juifs à la musique irakienne moderne. Si vous parvenez à faire en sorte que les archives puissent être rendues, alors il faut parler de la possibilité pour les Juifs irakiens de revenir.
Une grande partie de votre œuvre est personnelle, incarnée et héritée. Comment l'inscrivez-vous dans une conversation historique plus vaste ?
Cela s'inscrit d'une manière telle que c'est presque une biographie collective plutôt qu'une autobiographie. L'histoire de ma famille n'est pas seulement celle de ma famille, c'est celle de beaucoup d'autres. Lorsque j'ai fait ma performance à Sharjah (en février 2023, ndlr), où je repeuplais les archives de ma famille avec des choses qui avaient disparu lors du départ d’Irak, puis avec l'élimination malheureuse et accidentelle de certains de ces documents lorsque la mauvaise boîte a été jetée de la maison de ma famille à Long Island, j'ai réalisé que ces documents ne sont peut-être pas les documents de migration de mes grands-parents, ni leurs papiers d'identité, ni le sidara (couvre-chef irakien, ndlr) de mon grand-père. Mais je les cherche en provenance de familles portant les mêmes noms – comme le sidara qui porte le nom Chamoun, nom de famille de ma grand-mère. Ces types de choses sont un reflet de ces mêmes histoires. Mon espoir est que mon récit ne soit pas le lieu où les choses commencent ou se terminent. J'ai certainement été affecté par ma propre histoire en ce qui concerne mes décisions pour créer certaines œuvres, mais j'espère que cela ne se limite pas à l'autobiographie ou simplement à mon identité, et que cela ouvre un espace pour que d'autres voix émergent.