Alors que les divergences et déchirures au sujet du conflit israélo-palestinien se font de plus en plus nombreuses dans le milieu de l'art, l'Allemagne, où le sujet est particulièrement sensible, enchaîne les annonces médiatiques. Après la démission en bloc du comité de sélection chargé de choisir la prochaine direction artistique de la documenta de Kassel, c'est au tour d'un autre événement phare du pays de voir sa survie mise en péril. Organisée conjointement par les villes de Mannheim, Ludwigshafen et Heidelberg, la 10e édition de la Biennale für aktuelle Fotografie, qui devait se tenir en mars 2024, a été annulée après que Shahidul Alam, l'un des trois commissaires bangladais, a publié sur les réseaux sociaux un contenu qualifié d'antisémite par les autorités. Dans ses posts, le photojournaliste accuse notamment l'État d'Israël de perpétrer un génocide à l'encontre de la population palestinienne. Les organisateurs de la biennale ont déclaré dans un communiqué que leur « relation de confiance » avec le curateur avait été « gravement endommagée » et qu'ils avaient cherché à s'entretenir avec les trois commissaires « afin de les sensibiliser à la responsabilité historique particulière de l'Allemagne à l'égard de l'État d'Israël et de son droit à l'existence ». Les deux autres curateurs, Tanzim Wahab et Munem Wasif, ont démissionné suite au renvoi de Shahidul Alam. Le sponsor principal de la biennale, le groupe chimique BASF, ayant déjà annoncé bien avant ces remous que l'édition 2024 serait la dernière qu'il soutiendrait financièrement, l'avenir du festival est aujourd'hui doublement en danger. Pour le centre culturel Oyoun à Berlin, la sentence est déjà tombée : il a annoncé, le 22 novembre, sa fermeture définitive le mois prochain, suite à la décision du Sénat berlinois de ne pas renouveler son financement l'an prochain en raison d'un « antisémitisme caché ». Le centre culturel avait organisé un événement avec Jüdische Stimme, branche allemande de Jewish Voice for Peace, la plus grande organisation juive antisioniste au monde. « Plus qu'une simple fermeture, cette décision s'apparente à un destin que toutes les institutions financées par l'État ont désormais à craindre. Les implications sont considérables et touchent à l'essence même de la liberté et de l'expression artistiques », s'alarment les équipes d'Oyoun. Leur déclaration fait écho à un sentiment d'impuissance grandissant au sein de la communauté artistique de la capitale. « Il est flagrant de voir combien d'acteurs du secteur participent à des manifestations dans la rue, sans oser s'exprimer librement au travail de peur de perdre leur fonction et/ou les financements à leurs projets, témoigne auprès de L'Hebdo un artiste américain installé à Berlin. Tout le monde marche sur des œufs, c'est terrifiant. En art, il y a cette distinction entre le fond et la forme. Et ici, tout ce qui intéresse l'État, c'est la potentielle existence d'un contenu antisémite, alors que l'enjeu devrait être la forme même de l'oppression – qu'elle vise les musulmans, les juifs ou d'autres groupes. »