Se savent-ils visés par l’objectif d’André Ostier (1906-1994), photographe non pas « mondain » (il récusait cette qualification), mais, selon les mots de Patrick Mauriès, «observateur d’un monde qui plongeait ses racines dans la fin du XIXe siècle, lança ses derniers feux au milieu du XXe et disparut définitivement, avec ses ultimes figures, à la fin des année 1970 » ? Discrètement dandy, il évoluait dans les sphères de la « Café society » équipé d’un appareillage léger et mobile aux antipodes d’un matériel de studio, dont le boîtier à visée verticale porté à mi-corps, lui évitant de dissimuler son visage, permettait une complicité avec ses modèles saisis sur le vif dans la lumière naturelle. Les trois protagonistes – la vicomtesse de Ribes, entourée de son amoureux Raymundo de Larrain (à gauche) et de Charles de Beistegui, séducteur impénitent (à droite) –, absorbés par leur conversation, semblent l’ignorer. Pour ce bal des Têtes du 23 juin 1957, les invités étaient priés de se rendre à l’hôtel Lambert sur l’île Saint-Louis « en s’étant composé une tête spéciale » pour concourir devant quatre juges. Jacqueline de Ribes obtint le prix pour sa coiffure de plumes signée Raymundo de Larrain. La photo qui accompagne le compte rendu de la soirée publié dans Vogue est devenue emblématique de ces événements mondains. Si les deux hommes se font face les yeux dans les yeux, le regard en coulisse de la vicomtesse en direction du plus âgé dénote l’intérêt de sa conversation qui n'en est pas moins énigmatique. André Ostier partait à la recherche de « l’intimité surprise, du geste révélateur au milieu du tumulte », écrit Patrick Mauriès. « Dans une photographie, il doit y avoir un instant qui va plus loin que l’image », disait le photographe. Dans cette ambiance proustienne, l’image ne rappelle-t-elle pas, paradoxalement, les scènes populaires de Georges de La Tour, comme la Diseuse de bonne aventure avec son regard du coin de l’œil, et les éclairages de Caravage ?
« André Ostier intime » jusqu'au 2 décembre 2023, avec l’Association des Amis d’André Ostier et François de Ricqlès, galerie Jacques Lacoste, 19 avenue Matignon, 75008 Paris.
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