Avec près de 2 % de la population de Gaza morte ou blessée depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël le 11 octobre, on pourrait oublier que ce territoire de 345 km2 et d’un peu plus de deux millions d’habitants recèle des objets et des sites archéologiques exceptionnels. « Gaza devait être le paradis des archéologues. En 1995, lorsque les accords d'Oslo ouvre la voie à des recherches jusqu'à là inédites, le potentiel était presque intact avec des sites de premier plan - de toutes périodes, depuis le Bronze jusqu’à la chute de l’empire turc - très bien préservés », assure Jean-Baptiste Humbert, chargé de l’archéologie au sein de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF). Une raison en particulier explique cette incroyable richesse : le site, dont les premières traces d’occupation remontent à 3800 av. J.-C., a toujours été le corridor commercial et culturel de l’Égypte vers l’Asie. Une oasis, au terminus ou au départ, de la route de l’encens, qui « drainait le luxe de l’océan indien », rappelle l’archéologue. Presque tous les peuples (égyptien, grec, romain, perse, croisé, arabe…) qui ont conquis la région y ont fait halte et leurs trésors se sont trouvés enfouis sous les couches de terre, de limon ou de sable. C’est particulièrement vrai pour la période hellénique et romaine. Parmi les sites les plus récents, citons un cimetière romain vieux de 2000 ans, découvert l’an passé par hasard. Ses fouilles, débutées mi-2023, avaient permis d’excaver 127 tombes, parmi lesquelles avaient été retrouvés quatre rares sarcophages de plomb, ainsi qu'une mosaïque byzantine d’oiseaux et d’animaux (Ve - VIIe siècle ap. J.-C.) qualifiée d’ « exceptionnelle : jamais des sols en mosaïque de cette finesse, de cette précision dans le graphisme et d'une richesse de couleurs n'ont été découverts dans la bande de Gaza » par l’archéologue René Elter, aujourd’hui piégé dans la bande de Gaza, où il achevait les fouilles quand les bombardements ont débuté. À ce stade des combats, le sort de ces sites archéologiques demeure inconnu. Mais « il faut s'attendre à ce que tout soit détruit, les sites comme le produit des fouilles », s’inquiète Jean-Baptiste Humbert. La catastrophe touche en particulier le très beau chantier-école du monastère de Saint-Hilarion, financé par l’Agence française de développement, qui y a investi 11 millions d’euros en 2022. Ce complexe religieux, fondé à partir du IVe siècle par le père du monachisme au Proche-Orient, était un lieu de conversion chrétien et une étape importante des pèlerins qui cheminaient en Terre sainte. Redécouvert par les Palestiniens en 1997 et inscrit sur la liste de l’Unesco des sites demandant à être protégés, il est l’un des plus grands du Proche-Orient et le seul site archéologique à accueillir en permanence le public à Gaza. Depuis 2017, une centaine de jeunes y avait été formés dans les domaines de la construction, de la restauration et de l'archéologie dans l’espoir, désormais dérisoire, de leur fournir un débouché professionnel.