Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés déplorent la perte de l'été, qui depuis s'en est allé... Il y a 60 ans, Brigitte Bardot chantait la « nostalgie de la saison qui s'en va », ainsi que la pensent les Japonais. Traduit littéralement par « ce qu’il reste des vagues », le mot nagori définit la trace que laisse dans notre esprit un sentiment éphémère, une douceur passagère, dont la beauté n'est pas sans cacher une certaine douleur. Si pour Ange Leccia, l'été est éternel, c'est précisément parce que le souvenir mélancolique de son île natale et de sa jeunesse bronzée n'a jamais fini de lui tenir tête. Né en 1952, il obtient un bac en arts plastiques avant de se rendre à Paris pour étudier l'art et le cinéma à la Sorbonne puis à Rome où il entame les années 80 à la Villa Médicis. Ce n'est pas un hasard si la carrière de « l'artiste corse le plus important » selon le directeur du FRAC Corsica, Fabien Danesi, prend son envol au sein de la Ville éternelle, où tous les chemins mènent aux fontaines et au soleil. Les films vidéo et Super 8 qu'il y tourne annoncent déjà l'esthétique et les thématiques qui le tourmenteront jusqu'à aujourd'hui. Conçue pour cette première rétrospective en Corse, Sempre l'estate rassemble et recoupe sur quatre grands écrans des séquences repêchées dans l'ensemble de ses archives et rushes oubliés. Tel un kaléidoscope mnésique, des centaines d'images d'éclaboussures et de tempêtes, de lever d'horizons et de coucher d'astres, mais aussi de forêts en feu et de phares dans la nuit s'imprègnent sur la pellicule et la rétine du spectacteur comme autant de coups de foudre et de soleil, qui marquent la peau et éblouissent la vision au risque même de les voir disparaitre. Car chez Ange Leccia, le film sensible n'est en rien différent de l'épiderme humain : grains de sable, cristaux de sel, battements de paupière, cicatrices de vie se traduisent par un même vocabulaire et une même texture. Difficile de croire à la théorie de la perte de l'aura de l'œuvre pensée par Benjamin quand chaque image d'été projetée nous rappelle que son infinie reproductibilité n'est qu'un leurre, une illusion, un oxymore digne du soleil noir de la mémoire et ses éclipses. Et c'est précisément ici, au bord de l'oubli et de la disparition, que jaillit toute la beauté de la fragilité ontologique de l'image-souvenir.
« Ange Leccia - Je veux ce que je veux », jusqu'au 21 octobre au FRAC Corsica, frac.corsica