Amortissement des coûts liés à la coproduction, rayonnement international, réflexion sur le format, la scénographie et la logistique : autant de questions qui expliquent l'intérêt accru pour l’itinérance des expositions dans les équipes internes des musées. En développant une telle offre, ces établissements cherchent également à pérenniser un auto-financement et à ancrer des collaborations avec d’autres équipements. Quitte à devenir même un avantage concurrentiel : « Ce sont des services qui se professionnalisent dans les musées. Dans le monde, beaucoup d'institutions ouvrent sans être dotées de collections, elles peuvent ainsi trouver une programmation et une expertise », observe Jade Bouchemit, directeur adjoint du musée de la musique de la Philharmonie de Paris qui juge que, dans son cas, certains genres musicaux comme le metal ou l’électro s’exportent plus facilement.
Diversifier ses modèles d'affaires
S’il n’y a pas forcément de modèle prototypal dans l’organisation ou même la facturation de ces itinérances, celles-ci s’inscrivent dans la diversification des modèles d’affaires des musées. Elles contribuent à créer des circuits et des réseaux parallèles avec un système de prospection parfois incisif : « Nous sommes tous concernés par des problématiques de financement et de développement durable. Lorsque des œuvres proviennent de l’étranger, nous cherchons à partager les coûts de transports et d’assurance », avance Agnès Wolff, directrice de la production à la RMN-Grand Palais, laquelle développe également la filiale Grand Palais immersif, en attente d’une première vente. La monographie consacrée à la peintre brésilienne Tarsila do Amaral, prévue à l’automne 2024 au musée du Luxembourg, vivra une seconde vie à Bilbao. Sans collection propre, « on est dépendant de la bonne volonté des prêteurs », ajoute Agnès Wolff. Pour une prochaine exposition coproduite dédiée à la photographe Nan Goldin – étalée sur plusieurs années dont un passage au Grand Palais en 2026 –, la scénographie sera identique pour tous les lieux d’accueil avec des projections sous forme de diaporama sonore.
Adaptation
Les spécialistes de la production et de la gestion de projets voient dans ces expositions clés en main ou sur mesure un moyen de repenser un amont et un aval de leur conception. Le maître-mot de cette ingénierie est l’adaptation, car il faut intégrer des contraintes de surface, de hauteur sous plafond ou encore d’hygrométrie. Dans un catalogue, le musée du quai Branly recense une vingtaine de projets proposés à l'itinérance, le nombre d'œuvres et la surface requises étant chaque fois précisés. « Nous sommes forcément liés à la conception du parcours, même si nous ne pilotons pas la scénographie », indique Fred Chih-Chia Chung, adjoint à la direction du développement culturel. Son service de diffusion, créé en 2020, compte en tout quatre personnes pour coordonner une moyenne d’une dizaine d’expositions circulantes par an pour une recette de 500 000 euros, « Tatoueurs, tatoués » étant celle qui, depuis 2015, cumule le plus de voyages avec un système de caisserie pensé spécifiquement pour mieux conserver mobiliers et cimaises.
Modules indépendants
En France et à l’étranger, le Victoria & Albert Museum, le Centre Pompidou, les musées Rodin et Picasso font partie des spécialistes de ce savoir-faire qui s’appuie sur une démultiplication de modules indépendants. Universcience en développe près d'une vingtaine : rien que ces derniers mois, « Microbiote » faisait escale à Jérusalem, et « Quoi de neuf au Moyen Âge ? », développée avec l’Inrap, s’installait au cœur de l’abbaye d’Arthous, dans les Landes. Au Muséum national d’Histoire naturelle, à la différence des musées d’arts, ce sont surtout les droits des contenus rédactionnels et audiovisuels qui ont vocation à circuler après une première exposition in situ. « Depuis 2017, nous ne gérons plus la logistique et la maintenance puisque nous avons fait le choix de proposer une itinérance dématérialisée où nous gardons le contrôle sur les textes scientifiques fournis », explique Elsa Guerry, responsable du service programmation et itinérance des expositions. Soit 20 à 25 projets déclinables en différents formats qui tournent de manière égale en France et sur plusieurs continents. Des moulages et des prototypes 3D ont été ainsi reproduits pour l’exposition sur Néandertal ou encore pour celle sur l’art et la Préhistoire. Idem pour les spécimens de crabes et autres crustacés qui font partie de la tournée coréenne de l’exposition « Océans ». « Les objets ont une fonction illustrative pour appuyer le propos. Ils n’en sont pas le point de départ », ajoute-t-elle, consciente que ce choix puisse être matière à débat.