« Il y a beaucoup d’endroits, en France, où les récolements n’ont pas encore eu lieu », observe le secrétaire de la commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (CRDOA) Sylvain Leclerc. Créée en 1996 « suite à un rapport de la Cour des Comptes indiquant que la tenue des inventaires des collections publiques était insuffisante », explique Sylvain Leclerc, la CRDOA organise les opérations de récolement des collections publiques « relevant des service et établissements de l’État », lit-on sur le site du ministère de la Culture. Et de détailler : elle « élabore et diffuse une méthodologie de récolement et de post-récolement, pilote la programmation des opérations de récolement et contrôle le suivi des suites données aux œuvres non localisées (dépôts de plainte, émission de titres de perception…) ». Comme nous le rappelions dans un récent article, le taux de récolement est encore trop faible et « au lieu des 10% attendus chaque année pour respecter l’obligation décennale, 2,7% seulement des objets déposés ont donné lieu à un rapport en 2022 ». Et si la commission ne contrôle pas elle-même la présence et l’état de conservation d’une pièce déposée et inventoriée, elle tente de rassembler un maximum de données des différentes administrations et musées à ce sujet. Mais qui sont les personnes qui procèdent aux récolements ? Et comment travaillent-elles ?
Un service externalisé porté par des petites-mains
« Les gens qui procèdent au récolement sur place, dans les musées notamment, doivent être spécialistes des collections, affirme Sylvain Leclerc. Il faut une formation ». Mais est-ce vraiment le cas sur le terrain ? Si beaucoup de musées ont, en interne, des employés – souvent des conservateurs – chargés des collections et de la coordination du récolement, les petites-mains qui réalisent ces inventaires n’appartiennent généralement pas à l’établissement. Embauchée en CDD ou CDI de chantier par une entreprise privée depuis plusieurs années, Charlie* a participé, comme prestataire, à l’inventaire de nombreuses collections de musées. « Il y a des journées plus ou moins difficiles », raconte-t-elle. Elle regrette que les conditions de travail soient si mauvaises : « après un bac + 5 on est payés au SMIC, ajoute-t-elle. Pour la plupart d’entre nous, c’est un premier emploi et j’observe une dépression généralisée au sein de l’équipe qui travaille comme prestataire pour le musée ». Le turn-over y est important et la journée-type d’un agent de récolement commence généralement à 9 heures pour se terminer à 17. « Nous sommes une petite équipe, explique la jeune femme. L’entreprise nous demande de faire une quarantaine d'objets par jour et par personne ». Il arrive cependant qu’elle passe plus d’une heure sur un objet en raison de son poids ou parce qu’il est tout simplement très encombrant. Quand le quota d’objets n’est pas rempli à la fin de la journée, « notre boîte panique ». En général, les musées payent leurs prestataires en avance qui, eux, donnent un temps de chantier à l’établissement. « On est donc souvent mises sous pression », nous dit-on. Et si ce n'est pas le cas de tous, certains musées sont très en retard sur la question du récolement ou n’ont pas de prestataires qui font l’inventaire à plein temps.
Un travail fastidieux
« On a tous, pendant nos études, fait des stages où notre mission principale était de récoler des objets des collections », affirme Étienne*. Et Charlie d’ajouter : « l’argument qu’on m’a donné lors de mon embauche c’est que c’était un bon tremplin car le musée en question est réputé. Mais on sait tous que c’est bouché ». Certains affirment même que leurs conditions étaient meilleures en tant que stagiaires plutôt que prestataires. Et pour cause, « comme on n’est pas embauchés par le musée directement, on parfois est traités différemment, continuent les prestataires. Par exemple, on n’a pas toujours la clé pour accéder aux réserves et il faut être accompagnés dès qu’on veut s’y rendre ». Dans les deux cas, stagiaire ou prestataire, c’est un travail répétitif pour lequel aucune formation n’a été donnée. Les gestes se transmettent et, souvent, les agents de récolement se forment les uns les autres sur le terrain. « Peut-être reproduisons-nous des erreurs depuis plusieurs années sans le savoir ? » s’interroge Étienne. Porté à bout de bras par des petites-mains épuisées, le taux de récolement dans les musées est, de ce fait, mauvais. Dans le rapport que la CRDOA a publié en 2022, 3% des objets déposées dans les musées ont donné lieu à un rapport à cette même année tandis que le Centre des monuments nationaux, n’en a revu que 112 au lieu des 446 escomptés pour atteindre sa moyenne…
* Les prénoms ont été changés.