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Comment les musées intègrent l'IA dans leurs collections

Comment les musées intègrent l'IA dans leurs collections
Holly Herndon et Mat Dryhurst, I’M HERE 17.12.2022 5:44.
Courtesy des artistes.

Le Musée national d’art moderne lance un travail de fond autour de l’intelligence artificielle au sein de sa collection Nouveaux médias. Et explore, en collaboration avec KADIST, les pratiques artistiques contemporaines qui interrogent l’impact de l’IA dans la société. 

Désinformation, biais algorithmiques, consentement artistique, droits d’auteur… Le déploiement accéléré de l’intelligence artificielle (IA) apporte son lot de questions, d’ordre éthique et sociétal, de manière tout aussi pressante dans le champ de l’art. Le Centre Pompidou, qui poursuit plus avant un travail critique sur l’IA, lance avec KADIST une collaboration sur trois ans. « Ce projet repose sur l’exploration et l’accompagnement de recherches artistiques qui utilisent l’IA avec des méthodologies et des approches originales, explique Marcella Lista, conservatrice en cheffe pour la collection Nouveaux médias au Musée national d’art moderne. Cela va consister non seulement en de nouvelles acquisitions mais aussi, dans certains cas, en aide à la production. »

La première œuvre acquise est une vidéo de Holly Herndon et Mat Dryhurst, I’M HERE 17.12.2022 5:44. Elle a été créée notamment à partir du modèle d'apprentissage automatique text-to-image de Stable Diffusion, personnalisé par les artistes avec des ensembles de données choisies. Cette pièce interroge ce qui relève de l’intime et de l’automation, pointant le trouble qui naît de cet entremêlement. « L’entrée d’une telle œuvre reflète l’intérêt de la collection Nouveaux médias pour des démarches artistiques expérimentales, qui remonte aux prémices du musée, dans les années 1970 », souligne la conservatrice. Directeur international de l'association KADIST, Joseph del Pesco, associé à ce projet curatorial, rappelle la grève en cours des scénaristes et acteurs à Hollywood, menacés par les IA génératives et l’urgence des enjeux : « Nous avons besoin de créer un espace critique pour penser ces nouvelles technologies qui transforment radicalement notre monde. Et faire face à ce nouvel âge de la boîte noire ».

Éthique et équité algorithmique

Le 13 juillet au Centre Pompidou, une première rencontre publique organisée dans le cadre du festival Moviment et intitulée « Le futur n’est plus ce qu’il était : textes et images, nouvelle génération», a permis un premier tour d’horizon des questions clés. Notamment celles soulevées par les logiques de captation et d’agrégation de données. Les modèles de machine learning sur lesquels reposent des systèmes comme Stable Diffusion, Dalle-E ou encore ChatGPT, ont besoin d’engloutir un très vaste ensemble de données (datasets). Parmi elles, des œuvres originales aspirées sans l’accord de leurs auteurs. Les problèmes de consentement et de droits d’auteur occupent une place centrale dans cette nouvelle économie. Matthew Dryhurst et Holly Herndon ont créé à cet effet la plateforme Have I Been Trained?, qui offre la possibilité aux artistes de soustraire leurs créations des corpus d’images en ligne ciblées par les logiciels d’extraction. 

La logique extractiviste et capitaliste au fondement de l’IA est aussi pointée du doigt par l’artiste Agnieszka Kurant, dont une œuvre NFT a récemment intégré la collection du musée. Elle souligne l’exploitation des « intelligences humaines collectives » qui permettent à cette industrie de s’enrichir sans contrepartie. Michael Connor, co-directeur de la plateforme d'art numérique Rhizome du New Museum de New York et conseiller auprès de KADIST, soulève le « besoin d’une IA plus éthique et d’une équité algorithmique ». Non seulement sur la question brûlante du plagiat, mais aussi sur sa relation problématique avec le réel et la propagation de la désinformation. Dans sa vidéo They/Them, Juan Obando interroge le phénomène de deepfake avec une technologie de clonage vocal. Il est tout aussi urgent, selon Michael Connor, de « prendre conscience des biais inscrits dans les datasets » à partir des systèmes de machine vision, dont la reconnaissance visuelle.

Perspective historique

Ces recherches critiques et artistiques aboutiront en 2024 dans une exposition au Centre Pompidou. Philippe Bettinelli, conservateur au service Nouveaux médias, précise que dans la majorité des cas, « les œuvres générées par IA existent sous une forme relativement fixe, n’impliquant plus cette technologie – un simple fichier vidéo par exemple –, et en continuité directe avec la collection, y compris en termes de conservation ». Quant à la question des contrats que l’institution signe avec les artistes dans le cadre d’acquisitions, Marcella Lista indique qu’ils restent « communs à l’ensemble des secteurs de collection ». 

La priorité d’une institution muséale est « d’approcher la production artistique la plus récente à la fois à l’aune des enjeux contemporains et dans la perspective d’une histoire de l’art plus longue », analyse Philippe Betinnelli. D’autres institutions à l’international engagent aussi depuis plusieurs années un travail de fond autour de l’IA. Avec des conférences, des expositions ou encore des acquisitions d’œuvres intégrant des collections permanentes : comme celle du ZKM à Karlsruhe, avec Closed Loop de Jake Elwes, celle du MOCA à Los Angeles, avec Graft and Ash for a Three Monitor Workstation de Sondra Perry (aussi intégrée au MOMA), ou Le Pain Symbiotique d’Anicka Yi, par ailleurs invitée au Turbine Hall de la Tate Modern en 2021-2022 avec In Love With The World.   

Holly Herndon et Mat Dryhurst, I’M HERE 17.12.2022 5:44.
Holly Herndon et Mat Dryhurst, I’M HERE 17.12.2022 5:44.
Courtesy des artistes.
Ho Rui An, Screen Green, 2015.
Ho Rui An, Screen Green, 2015.
Courtesy of the artist, KADIST collection.
Juan Obando, They/Them, 2023.
Juan Obando, They/Them, 2023.
Courtesy of the artist, KADIST collection.
Michael Connor.
Michael Connor.
Photo: © Christine Rivera.
Philippe Bettinelli.
Philippe Bettinelli.
© DR.
Joseph del Pesco.
Joseph del Pesco.
© Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0.
Marcella Lista.
Marcella Lista.
© Centre Pompidou, Hervé Véronèse.
Rencontre organisée dans le cadre du festival Moviment et intitulée « Le futur n’est plus ce qu’il était : textes et images, nouvelle génération» le 13 juillet au Centre Pompidou.
Rencontre organisée dans le cadre du festival Moviment et intitulée « Le futur n’est plus ce qu’il était : textes et images, nouvelle génération» le 13 juillet au Centre Pompidou.
© Centre Pompidou, Hervé Véronèse.
Sofia Crespo, Temporally Uncaptured, 2023.
Sofia Crespo, Temporally Uncaptured, 2023.
Courtesy de l’artiste.
Agnieszka Kurant, Sentimentite (First death caused by self-driving car 84/100, from Chapter 9: Tech Futurism), 2022.
Agnieszka Kurant, Sentimentite (First death caused by self-driving car 84/100, from Chapter 9: Tech Futurism), 2022.
Courtesy de l’artiste et collection KADIST.

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