Il fait encore lourd lorsque le 17 août 1991, au lendemain du passage de Hurricane Bob, Nabil Nahas part se promener le long du rivage de Long Island. Plus qu'une plage jonchée de troncs et de débris, il trouve un paysage digne d'une page de Gabriel García Márquez. Ce n'est pas une pluie de minuscules fleurs jaunes qui est « tombée toute la nuit en silencieuse averse » pour honorer la mort d'un roi (Cent ans de solitude), mais presque : la bruyante traversée de l'ouragan a fait échouer sur la plage des milliers d'étoiles de mer. Comme « il tomba tant de fleurs du ciel qu'au matin les rues étaient tapissées d'une épaisse couverture, et on dut les dégager avec pelles et râteaux pour que l'enterrement pût passer », le peintre ramasse des centaines d'astéries pour se frayer un chemin jusqu'à son studio voisin et leur offrir une seconde vie. Après les avoir fait délicatement sécher, il se lance dans une nouvelle série alliant art abstrait et art géométrique inspiré de ces êtres pentagones. Fidèle disciple de Pollock, il adopte le concept du all-over painting et applique sur des toiles grand format d'épaisses couches de peinture, dont les étendues potentiellement infinies semblent bien dépasser des bords. Nabil Nahas, qui a grandi au Liban avant de s'installer à New York dans les années 1970, marie ici ses multiples racines artistiques, des fleurs, arabesques et autres fractales de l'art islamique inspirées du monde végétal à l'expressionnisme abstrait et jusqu'aux bas-reliefs de la Renaissance. Car ses (é)toiles de fonds marins font plonger le regard autant qu'elles jaillissent en surface. Pris dans un vortex à l'effet vertigo, l'œil ne sait plus bien s'il voyage au centre de la terre, du ciel ou de la mer, mais qu'importe : même quand terre-mère fait des ravages, l'art ouvre d'autres passages.
« Nabil Nahas - Les racines du ciel » jusqu'au 13 juin au Château La Coste, 13610 Le Puy-Sainte-Réparade.
chateau-la-coste.com
