On y voit une toile d’araignée et puis un mandala bouddhiste, un système solaire et puis un ciel étoilé de pleine lune, une équation mathématique à résoudre ou une solution de physique quantique, un kaléidoscope géant, une rosace nacrée, un immense coloriage de vide à remplir... Quel que soit l'angle d'approche, quelque chose de cosmique se dégage de l’installation in situ d'Ivana Franke, dont on ne saurait trop définir la nature. On cherche la petite bête, un indice pour en finir avec ce casse-tête de néant, mais rien n'y fait : la lumière s'élève et retombe, glisse sur les fils tendus entre le sol et le plafond, tire et attire l'œil vers le profond... qui n'a jamais été aussi plat. Car maintenant qu’on en a fait le tour, l’œuvre se découvre à nous sous une tout autre facette, et telle dénudée, nous dévoile son secret. À partir de la projection du diagramme d’un cube à six dimensions produit par un logiciel mathématique, Ivana Franke a construit deux grandes toiles de fils transparents. Suspendues à une dizaine de mètres d’écart, elles offrent à contre-jour l’illusion d’un espace tunnel infini. « Je voulais casser les idées préconçues sur l’art numérique, qui ne se limite pas à la réalité virtuelle et aux algorithmes », explique le curateur Richard Castelli à propos de l’exposition aux 10 000 m2 et aux mille et une dimensions, qui redonnent à l'imposant site industriel des Pittlerwerke toute sa grandeur. Situé au nord-ouest de Leipzig, cette ancienne fabrique d'outils a rythmé le quotidien de centaines de milliers d'ouvriers pendant plus d'un siècle jusqu'à son arrêt et son progressif abandon à la chute du Mur. C'est une belle destinée que de la voir à nouveau se peupler d'hommes et de machines. Si son avenir d'institution culturelle reste incertain, ses actuels propriétaires semblent prêts à mettre de l'huile dans les rouages pour que d'autres projets artistiques s'y déploient. L'ampleur des lieux rend la chose certes complexe voire illusoire, mais après tout, la réalité ne tient parfois qu'à un fil.
Jordane de Faÿ
« Dimensions - Digital Art since 1859 », jusqu'au 9 juillet au Pittlerwerke à Leipzig, dimensions-digital-art.de