Intitulée « Les légendes du radeau », l'exposition du Crac raconte les expériences de vie menées à partir de 1967 dans les Cévennes par Fernand Deligny et un groupe d'adultes, « présences proches » réunies auprès d'enfants autistes dans des « aires de séjour » conçues hors de l'institution psychiatrique. Le « radeau », tel que le définit Deligny, est alors cet espace habité, entre contrainte et liberté, où « il faut que le lien soit suffisamment lâche et qu'il ne lâche pas ». Objets, cartes, photographies, films, peintures témoignent d'une expérience unique, à la lisière de l'art, du cinéma et de l'écriture. Sandra Alvarez de Toledo et Anaïs Masson ont publié aux éditions L'Arachnéen de nombreux écrits de Fernand Deligny, mais aussi les cartes et « lignes d'erre » transcrivant les déplacements des enfants, ainsi que le « journal » de l'un d'eux, Janmari. Commissaires (avec Martín Molina Gola) de l'exposition du Crac, elles racontent dans un entretien croisé le défi formidable que constitue cette exposition.
Magali Lesauvage (ML) : Pourquoi et comment exposer la pensée de Fernand Deligny dans un lieu d'art ?
Anaïs Masson (AM) : L'idée de l'exposition n'était pas d'additionner tous les objets et traces existants de l'expérience des Cévennes. On voulait reconstituer dans l'espace l'idée du radeau, sans le mimer. Ce radeau, c'est l'hétérogénéité, le jeu entre les choses, des liens lâches mais présents. Il ne s'agissait pas de tout expliquer, mais d'accompagner le spectateur dans cette hétérogénéité de pratiques que Deligny a initiées : objets, films, photographies, cartes… avec les livres de Deligny au milieu. On est pris dans un monde, dont chacun peut tirer les fils.
Sandra Alvarez de Toledo (SAT) : Ce qui nous…