Le Quotidien de l'Art

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Show must go on : l’histoire de l'art monte en scène

Show must go on : l’histoire de l'art monte en scène
À mon seul désir de Gaëlle Bourges.
© Danielle Voirin.

Ils et elles sont historiens de l'art, chorégraphes, artistes, et ont choisi de faire de l'histoire de l'art le matériau de spectacles, souvent seuls en scène. Passage en revue.

Avec 120 000 spectateurs et une programmation quasiment ininterrompue depuis plusieurs années, le succès populaire de Toute l'histoire de la peinture en moins de deux heures d’Hector Obalk prouve que l’histoire de l’art intéresse un large public… Au-delà de cet exemple blockbuster, une génération plus jeune, formée à des disciplines diverses, brouille aujourd'hui les frontières entre conférence et performance, proposant une histoire orale des représentations et du canon. Hortense Belhôte, Gaëlle Bourges, David Wahl ou encore Christodoulos Panayiotou ont en commun la volonté de contextualiser les œuvres, de confronter nature et culture, en plaçant le corps au centre de leurs performances. Hybrides, ces conférences artistiques sont programmées dans des théâtres ou festivals. Et les musées se sont également saisis de cette tendance. 

De nouvelles formes pour « vulgariser l’esprit critique »

Le mélange des genres entre performance et savoir n'est pas nouveau, mais les conférences performées d'histoire de l'art sont une tendance plus récente. Pour son stand up, Hector Obalk s'accompagne de musique et d’une projection zoomable de plus de 4 000 œuvres, couvrant sept siècles… L'autodidacte, documentariste pour la télévision, précise : « Si vulgariser c’est dire clairement ce que les savants disent de manière difficile, dans mes spectacles, je dis de manière plus personnelle ce que peu savent sur des œuvres connues ». Il ajoute : « Ma vision de l’histoire de l’art exclut le contexte politique, car il faut montrer la singularité anhistorique d’un artiste, ce qu’il fait qu’il reste unique ». Un parti pris qui est au cœur des critiques adressées à ce one man show. Raconter « toute l’histoire de l’art » en deux heures ou dix œuvres ne conduit-il pas à reconduire une histoire des vainqueurs, sans recul ni mise en question ? 

C’est cette prise de recul que d'autres créateurs multidisciplinaires proposent. Contextualisant les œuvres, l’historienne de l’art et comédienne Hortense Belhôte s’est fait connaître avec la série Merci de ne pas toucher, sur Arte, qui revisite les grandes toiles en cinq minutes. Elle nous emmène par exemple au bord de la mer à la pêche aux informations (et aux moules) au sujet de la Suzanne au bain de Rembrandt, en short et bottes en caoutchouc. Avec 1789, portrait de famille (programmée du 6 au 27 mai au Théâtre de l’Atelier, à Paris), elle propose une relecture la Révolution française à partir de tableaux d’oubliés, de sa généalogie personnelle et des Pokémon. Dans ses « conférences spectaculaires », aussi bien sur le football féminin que le château de Vaux-le-Vicomte, Hortense Belhôte place la vulgarisation au cœur de son travail. « C’est surtout l’esprit critique que j’essaye de vulgariser, commente-t-elle. Outiller les gens pour qu’ils puissent se déplacer dans ce milieu parfois hostile de la culture et de la société, changer les focales, adopter d’autres points de vue. » Au petit écran comme à la scène, elle propose de décentrer le regard sur des œuvres et des mythologies, dans une perspective queer, pop et documentée. Une démarche qu'elle poursuit de manière plus classique au musée, notamment à Orsay, où elle a carte blanche : « Ce ne seront pas des visites traditionnelles, car elles croiseront le principe de l’escape game autour d’une question simple : comment échapper à l’héritage misogyne, raciste et capitaliste du XIXe siècle, explique-t-elle. Je ne voudrais pas faire une conférence sans interroger le format et la question du musée et de son discours. »

Tomber sur un os

Dans la même veine, le travail de David Wahl remet en cause ou plutôt en « causerie » le rapport à la collecte et à la collection. Cela a commencé avec un livre et un spectacle où il faisait tourner les faits historiques – et aussi un peu les tables –, Traité de la boule de cristal (2015). David Wahl définit ces causeries comme des récits qui « se nourrissent d’histoire, de sciences, de philosophie, de littérature, de domaines de recherches et de savoirs qu’on n’ose pas trop mélanger d’ordinaire ». L’art, comme condensé des inconscients collectifs, fait partie des savoirs disséqués par cet historien latiniste, particulièrement attentif aux question d’environnement. Les représentations ont lieu aussi bien au festival d’Avignon que dans les collections du muséum national d’Histoire naturelle. Habillé en dandy, David Wahl est sur scène précis et précieux, ce qui ne l’empêche pas de faire aussi le clown et de disparaître dans le sable, dans son spectacle jeune public Histoires de Fouilles (Causerie V). Jamais donneur de leçons, le savant emmène dans une quête pleine d’inquiétude, ce qui n’empêche ni l’émerveillement, ni le jeu. 

Plus directement concentrée sur les grandes œuvres des musées, la chorégraphe et comédienne Gaëlle Bourges interroge depuis 2009 notre manière de voir, de l’art rupestre (Revoir Lascaux) à celui du XIXe siècle, en passant par Le Bain, avec Clouet et Tintoret (à voir les 16 et 17 avril à l’Espace Bernard Mantienne de Verrières-le-Buisson). En 2014, la chorégraphe proposait une relecture dansée et nue de la fameuse Dame à la licorne du musée de Cluny, sous le titre À mon seul désir. Elle a également reconstitué l’atmosphère pré-révolutionnaire du Verrou de Fragonard, daté de 1770. Avec, au centre, la question du corps des femmes dans l’art : « En tirant simultanément le fil du pictural, du sexuel, du fantasmatique et de l’historique, on a de fortes chances de tomber sur un os : c’est exactement ça que la pièce cherche », déclare-t-elle. L’os, c’est le nom de sa compagnie... 

Pasolini et Mary Poppins

Christodoulos Panayiotou parle aussi d’os et de finitude. Il part de la figure de Rudolf Noureev dans la Bayadère pour interroger ce que Dying on stage (mourir sur scène) veut dire. Plasticien, danseur et anthropologue, il multiplie les angles de vues et les disciplines dans ce spectacle en trois parties de deux heures chacune, qui prend pour point de départ la mort, dans un brouillage des frontières entre « haute » et « pop » culture. Le Show must go on de Freddy Mercury et Grégory Lamarchal côtoie Sarah Bernhardt dans Hamlet, Nina Simone et Le Lac des cygnes de Tchaïkovski. Les rapprochements audacieux du performeur remettent en question le sens du beau et ses chaines d’inspiration : Pasolini a-t-il vu Mary Poppins avant de réaliser Théorème ? Le Tadzio du Mort à Venise de Visconti a-t-il influencé les traits des héros de mangas des années 1980 ? Autant de questions que pose cette conférence qui ne cesse d’évoluer… Utilisant les ressources de l’histoire comme science et celles de la scène comme lieu de catharsis, ce format, entre conférence parlée et œuvre performative, décentre le regard, sans fin.

Toute l'histoire de la peinture en moins de deux heures d’Hector Obalk.
Toute l'histoire de la peinture en moins de deux heures d’Hector Obalk.
© Twitter / @HectorObalk.
Hector Obalk.
Hector Obalk.
© Twitter / @HectorObalk.
Dying on stage de Christodoulos Panayiotou
Dying on stage de Christodoulos Panayiotou
© Bea Borgers – kunstenfestivaldesarts.
Histoires de Fouilles (Causerie V) de David Wahl.
Histoires de Fouilles (Causerie V) de David Wahl.
© Erwan Floch.
Histoires de Fouilles (Causerie V) de David Wahl.
Histoires de Fouilles (Causerie V) de David Wahl.
© Erwan Floch.
David Wahl.
David Wahl.
© Erwan Floch.
1789, portrait de famille d’Hortense Belhôte.
1789, portrait de famille d’Hortense Belhôte.
© Fernanda Tafner.
1789, portrait de famille d’Hortense Belhôte.
1789, portrait de famille d’Hortense Belhôte.
© Fernanda Tafner.
Hortense Belhôte.
Hortense Belhôte.
© Camouna.
Le Bain de Gaëlle Bourges.
Le Bain de Gaëlle Bourges.
© Danielle Voirin.
Revoir Lascaux de Gaëlle Bourges.
Revoir Lascaux de Gaëlle Bourges.
© Danielle Voirin.
Gaëlle Bourges.
Gaëlle Bourges.
© Danielle Voirin.
La série « Merci de ne pas toucher » sur Arte.
La série « Merci de ne pas toucher » sur Arte.
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