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Spoliations : le cas des sculptures de Chana Orloff 

Spoliations : le cas des sculptures de Chana Orloff 
L’atelier-musée Chana Orloff à Paris.
Ateliers-musée Chana Orloff.

En 1943, les Nazis pillent l’atelier de la sculptrice  Chana Orloff. Aujourd’hui, ses descendants mènent un jeu de piste complexe pour retrouver les œuvres une à une.

Spoliée en 1943, restituée 80 ans plus tard. En début d’année, une sculpture en bois a fait son retour dans l’atelier-musée de la villa Seurat, niché dans le 14e arrondissement de la capitale. Didi a une grande valeur affective : l'œuvre, d’une hauteur de 80 centimètres, représente Elie, ou « Didi », fils unique de Chana Orloff (1888-1968), né un an avant le décès de son mari, le poète polonais Ary Justman. Avant d’être présentée au musée d'Art et d’Histoire du judaïsme à partir de novembre dans une exposition consacrée aux spoliations des œuvres de Chana Orloff, la statuette est conservée dans le lieu même qui fut vidé de ses œuvres et de son mobilier de travail par un service allemand, assisté de la Wehrmacht, en l’absence de la sculptrice. Ayant échappé à la rafle du Vel d’Hiv à l’été 1942, l’artiste juive d’origine ukrainienne, naturalisée française en 1925, était partie se réfugier avec son enfant en Suisse. « Ensuite, nous ne connaissons pas l'itinéraire de cette sculpture, avant qu’elle ne réapparaisse aux États-Unis », indique Éric Justman, qui, avec sa sœur aînée Ariane, veille à la postérité des productions de leur grand-mère. 

Cette réapparition est l’aboutissement d’une longue procédure, engagée dès 2008 auprès de la maison de vente Christie’s et d’un collectionneur new-yorkais. Celui-ci est resté fermé à toute solution amiable, en dépit de l’authenticité confirmée de la statue par une expertise de provenance. Bien que la mise aux enchères soit impossible, c’est le décès en 2021 du propriétaire, resté jusqu’alors anonyme, qui a désamorcé l’hostilité latente, relancée par un contentieux juridique initié aux États-Unis puis en France la même année. Par un accord aux conditions restées confidentielles et une clause de non-dénigrement, le conjoint du propriétaire de Didi a accepté une transaction avec les descendants de Chana Orloff. Du côté de Christie’s, qui avait conservé en dépôt la sculpture pendant ce temps, l’affaire est close : « Les parties sont heureuses que cette affaire ait été résolue et que la sculpture soit entre les mains des ayants droit de l’artiste ». 

Combler les lacunes

Symbole d'un travail plus large sur la maternité, Didi n’était pas inconnue de la famille Orloff-Justman. À son retour à Paris en 1945, Chana Orloff, figure du Montparnasse artistique de l’entre-deux guerres, avait établi, de mémoire et à l’appui de photographies, une liste dactylographiée de 116 œuvres disparues, noms, matériaux et descriptions incluses. Le document avait été ensuite versé aux dossiers et courriers de réclamation auprès des autorités françaises (la commission de récupération artistique créée en 1944) et allemandes (en 1958, au travers de la loi BRüG, qui lui a ensuite valu indemnisation). Dans sa déclaration, elle écrit : « Les sculptures prises par les Allemands (...) ont été signées et numérotées par moi ». Avec les lacunes que toute archive de ce type comporte. « L’inventaire n’était pas aussi développé à l’époque. Ensuite, au sortir de la guerre, sa priorité est de continuer à travailler », retrace l’avocate Corinne Hershkovitch, spécialiste des spoliations. Toutefois, la reconnaissance avant-guerre de la sculptrice, également portraitiste d’un grand nombre de membres de l’élite parisienne, a sans doute joué dans l’introduction d’une telle démarche. « Elle jouissait déjà d’une certaine renommée. Parmi ceux qui ont survécu, tous n’ont pas eu connaissance de l’existence de la commission de récupération artistique », confie Sophie Juliard, doctorante en histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2, qui poursuit une thèse sur le pillage des ateliers d’artistes en France pendant l’Occupation. Difficile cependant de déterminer le niveau d’investigations menées à l’époque. 

Certaines pièces ont toutefois refait surface. À l’image d’un portrait en pied d’Ida Chagall, visible au musée la Piscine de Roubaix, ou encore d'un buste en ciment du peintre russe Alexandre Iacovleff. « Nous en avons retrouvé quatre à ce jour, par le biais de récupérations à l’amiable ou de rachats », précise Éric Justman. Même si d’autres œuvres ont pu être détruites, cet inventaire sert aujourd’hui de repère à ses ayants droit, dès lors qu’ils sont consultés dans le cadre d’une identification de provenance, et avec une veille un peu plus proactive ces dernières années. « Nous reprenons actuellement l’instruction des archives et les vérifications sur le traitement du dossier déposé par la famille auprès de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations », renseigne David Zivie, chef de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, en contact fréquent avec les petits-enfants de l'artiste.

L’atelier-musée Chana Orloff à Paris.
L’atelier-musée Chana Orloff à Paris.
Ateliers-musée Chana Orloff.
Chana Orloff.
Chana Orloff.
Ateliers-musée Chana Orloff.
La sculpture Didi de Chana Orloff.
La sculpture Didi de Chana Orloff.
Ateliers-musée Chana Orloff.
La sculpture Didi de Chana Orloff dans l’atelier-musée Chana Orloff à Paris.
La sculpture Didi de Chana Orloff dans l’atelier-musée Chana Orloff à Paris.
Ateliers-musée Chana Orloff.
Me Corinne Hershkovitch.
Me Corinne Hershkovitch.
© Facebook / Corinne Hershkovitch.
Eric Justman.
Eric Justman.
Ateliers-musée Chana Orloff.
Portrait en pied d’Ida Chagall de Chana Orloff.
Portrait en pied d’Ida Chagall de Chana Orloff.
© DR.

Article issu de l'édition N°2585