Au sommet de sa tête – un cône de verre sablé en couches superposées évoquant le döner de la cuisine turque – repose un fruit luisant, entre pomme d’amour, joyau royal et cible de Guillaume Tell. Sur ses genoux, des aubergines rebondies, comme des offrandes à celle ou celui qui pénètre dans ce lieu majestueux, le Palais Longchamp, musée des Beaux-Arts de Marseille, dont elle semble garder l’entrée. Autour de son cou, un collier élégant suspend sur sa poitrine deux bulbes aux couleurs de chair à saucisse. Cette déesse, cette reine, c’est Madame Kebab. De son buste s’échappent des murmures, invitant à s’approcher de la figure hiératique, qui tient autant de l'idole sacrée que du mannequin de carnaval. À gauche et à droite, le décor est planté : en haut des deux volées d’escalier qui l’entourent se déploient les fresques de Puvis de Chavannes, racontant Marseille colonisée et colonisatrice. Ce carrefour des cultures a inspiré l'artiste, Tamar Hirschfeld, pour son exposition, intitulée « Grillée ». Installée à Tel Aviv, l'Israélienne a séjourné dans la ville à plusieurs reprises, invitée par le Cirva (centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques) à expérimenter le verre, dont elle était jusqu’alors peu familière. Plutôt que de la contraindre, ce matériau si complexe a libéré plus encore l’inspiration folle de l’artiste : chats pleurant « des larmes de feu », fumées de missiles en verre soufflé moulé, Vase triste s’affaissant tristement, Concombre phallique saisi après sa mue, Vase futile gravé des mots « Free Palestine »… Baroques, surréalistes, drôles, les sculptures de Tamar Hirschfeld n’en sont pas moins éminemment politiques, et dialoguent merveilleusement avec les collections des beaux-arts du musée, dans les rapprochement subtils imaginés par Stanislas Colodiet, directeur du Cirva.
« Tamar Hirschfeld. Grillée », présentée jusqu’au 23 avril par le Cirva au Palais Longchamp, musée des Beaux-Arts de Marseille.