Le Quotidien de l'Art

Marché

Paris confirme son rang de capitale du dessin

Paris confirme son rang de capitale du dessin
Salon du Dessin 2023
Carry van Biema, "Portrait de femme", vers 1933-1938, crayon sur papier, 28,2 x 23,1 cm.
Galerie Jose de la Mano.
© Jose de la Mano.

La semaine écoulée a vu coïncider quatre rendez-vous dédiés à la discipline. Derrière les locomotives que sont le Salon du dessin et Drawing Now, deux outsiders, DDessin et Paris Print Fair ont trouvé leur public.

Ce ne sont pas les chiffres de la FIAC ou d'Art Paris, mais ils n'y ont pas vocation, faisant l'éloge d'un medium spécialisé. Cependant, les deux principaux salons dédiés au dessin à Paris dépassent les aisément les 10 000 entrées chacun (jusqu'à 18 000 à Drawing Now qui a retrouvé ses fréquentations d'avant-Covid malgré le mouvement de grève). Et les ventes suivent...

Frénésie acheteuse au Salon du dessin

Nombreux étaient les marchands à accrocher un sourire rayonnant en cette dernière journée du Salon du dessin au Palais Brongniart (lundi 27 mars), satisfaits de cette 31e édition. Ce qu'Ambroise Duchemin traduit par un : « Formidable ! Nous avons eu beaucoup d'intérêt en tout genre pour cette deuxième participation au salon, j'ai hâte de la troisième ! » On le comprend,  car il a vendu la moitié de son stand, dont le magnifique Saturne de George Minne (1866-1941) ou le portrait de jeune fille de Robert Poughéon (1886-1965). Même effervescence chez Benjamin Peronnet, où le Bœuf dans son étable de Fragonard (1732-1806) a été vendu immédiatement, une sanguine inédite qui était restée dans la famille du sculpteur Augustin Pajou, tout comme le mur consacré aux artistes suédois, dont le Ciel du soir de Nils Kreuger (1858-1930) a été acheté par une institution américaine autour de 15 000 euros. Comme en témoigne Matthieu de Bayser, l'essentiel des ventes semble s'être concentrée sur les trois premiers jours, pendant lesquels la moitié du stand a trouvé preneur, soit vingt dessins. Si la fourchette des prix affichés était comprise entre 3 000 et 400 000 euros, les ventes ont été faites entre 6 000 et 150 000 euros. Une Tête d’Oriental d’Alexandre Hesse (1806-1879) était réservé par le musée des Beaux-Arts de Lyon, tandis que la Tête de jeune femme coiffée d’un grand béret de Jean-Antoine Watteau (1684-1721), provenant de la célèbre collection Mariette, était rapidement cédée autour de 150 000 euros. L’ombre de Samuel apparaissant à Saül chez la pythonisse d’Endor de Raymond Lafage (1656-1684) a énormément attiré l'œil des amateurs chez Jean-Luc Baroni et Marty de Cambiaire tout au long du salon mais a été emporté par un collectionneur privé qui pourrait l'offrir à un musée français, tandis que la Lamentation sur le Christ mort de Baccio Bandinelli (1493-1560) rejoindra les collections d'une institution américaine.

L'art moderne et contemporain n'est pas en reste comme l'atteste le succès des gouaches de la montagne Sainte-Victoire de Fabienne Verdier à la galerie Waddington Custot – dont 8 sur 16 ont été vendues, proposées à 15 000 euros chacune, nous confie le galeriste – ou l'engouement de la galerie new-yorkaise Zeit Contemporary Art pour sa première participation, qui a vendu un Warhol et fait des nombreuses rencontres dont « Emmanuel Guigon, le directeur du Musée Picasso de Barcelone qui va inclure un dessin de Picasso présent sur notre stand dans une future exposition », expliquait Joan Robledo-Palop, le directeur de la galerie qui constatait beaucoup d’intérêt pour les œuvres de Sam Gilliam et du Ghanéen Amoako Boafo. Si cette édition est un succès, c'est en grande partie que toutes les institutions étaient de retour, du Getty de Los Angeles au British Museum de Londres (qui a acheté chez de La Mano un Portrait de femme de Carry van Biema (1881-1942), artiste allemande morte à Auschwitz), en passant par le Metropolitan de New York, l’Art Institute de Chicago, la Menil Collection de Houston, et les musées européens de Hambourg, Francfort et Zürich, et bien sûr le Louvre, Orsay, Lyon et Orléans. « Nous avons eu plus de collectionneurs américains qu’à la TEFAF la semaine dernière, ces derniers ayant préféré Paris plutôt que Maastricht, notamment pour son offre culturelle », commentait Antoine Laurentin. Ce qui fait conclure à Edoardo Baracco, de la galerie Enrico Frascione, que « le Salon du dessin est la manifestation la plus importante au monde et Paris revient un centre culturel pour les antiquaires. » Rendez-vous est donné du 19 au 25 mars 2024.

Drawing Now, de Dezeuze à Dupin

Malgré une journée de grève et les poubelles en feu, les sourires étaient au rendez-vous dans les allées de Drawing Now qui déclare 18 000 visiteurs pour cette 16e édition, retrouvant presque sa fréquentation d’avant-Covid, aidée par ses dates printanières habituelles et bénéficiant du passage de la ministre de la Culture Rima Abdul Malak. Si le jour du vernissage, plusieurs ventes se concrétisaient, le vendredi, Catherine Issert se réjouissait d’avoir cédé onze paysages colorés de Marine Wallon (entre 2 500 et 3 500 euros), sa jeune artiste en focus ainsi que deux Viallat à 12 500 euros et un Jean-Charles Blais à 14 000 euros, autant d’œuvres qui habillaient son stand de 30 m2 (loué pour 14 000 euros) à l’entrée de la foire. À côté, la galerie Templon exposait des dessins de Daniel Dezeuze, partis entre 2 000 et 5 000 euros, ainsi que des gouaches de Gérard Garouste dont une récente, vendue dès le premier jour à 20 000 euros. « C’est notre première fois sur Drawing Now pour célébrer le talent et les 80 ans de Daniel Dezeuze et nous avons eu le passage de très bons collectionneurs, même le jour de la grève » relate Anne-Claudie Coric, directrice de la galerie. Première fois aussi pour la jeune galerie Dupin qui a ouvert en juillet dernier à Saint-Méloir-des-Ondes près de Cancale et qui étrennait là sa première foire, ravie de rencontrer les acteurs parisiens du monde de l’art, ou encore pour la galerie Vazieux avec un solo-show des huiles sur papier calque de Sarah Jérôme ou pour la galerie Binome venue faire le pari de montrer Corinne Mercadier, artiste à la frontière du dessin et de la photographie. Valérie Cazin, sa directrice, loue « une expérience très positive permettant de rencontrer des collectionneurs différents » pointant un magnifique Nuage vagabond vendu à 3 800 euros. Même sentiment de première expérience réussie pour Lara Sedbon qui présentait deux jeunes artistes, Léonard Combier et Tudi Deligne, dont un magnifique grand fusain de ce dernier intitulé Bonaparte est parti à 8 000 euros. Sur le stand de Dilecta, c’est une des œuvres phares de Mircea Cantor, une carte du monde réalisée à la suie de bougie sur papier, qui trouvait preneur à 18 000 euros tandis que chez La Forest Divonne, un poétique Iris de Valérie Novello a été cédé pour 6 000 euros. « Nous avons remarqué une hausse de la fréquentation et des collectionneurs très actifs. Nous avons notamment eu le plaisir de vendre trois œuvres de Justin Weiler au FRAC Picardie », témoigne de son côté Romain Degoul de Paris-B. Si la foire est dynamique à moins de 10 000 euros, profitant aux œuvres d’artistes émergents telles que Christine Safa chez Lelong & Co. dont les petits papiers se sont bien vendus autour de 3 500 euros, le dessin historique, plus cher, au-delà des 20 000 euros, reste plus inaccessible. Ainsi, les beaux stands de Mel Ramos chez Patrice Trigano et Vera Molnar chez Berthet-Aittouarès ont trouvé le succès d’estime à défaut du sold out.

Paris Print fair, l’éclectisme au rendez-vous

Sous les hautes  fenêtres gothiques du couvent des Cordeliers, dans le 6ᵉ arrondissement, collectionneurs et curieux se sont déplacés en nombre dès le soir du vernissage de la Paris Print fair, qui pour sa deuxième édition a convié vingt exposants et attiré 2 000 visiteurs. Une belle progression constatée pour la jeune foire lancée l’an dernier par la Chambre syndicale de l’Estampe, du Dessin et du Tableau (CSEDT), parcourue aussi par des conservateurs du Metropolitan de New York et du British Museum, de passage à Paris pour le Salon du Dessin. « Tout l’objectif est de montrer la diversité de l’estampe, aussi bien en termes d’époques – du XVᵉ au XXIsiècles – qu'en termes de tarifs : Nous voulons conserver un élitisme dans la qualité, tout en maintenant des prix accessibles, de quelques centaines à 100 000 euros », rappelle le galeriste et directeur Christian Collin, qui cette année avait tenu à intégrer à sa programmation les galeristes contemporains Lelong et Pasnic, nouveaux venus aux côtés de défenseurs des maîtres anciens (Rembrandt, Cranach, Dürer, Goya) chez Kunsthandlung H. H. Rumbler (Francfort) et Jurjens Fine Art (Amsterdam) , de l’estampe japonaise (Bei der Oper, Vienne) ou des grands noms européens du XXᵉ (Soulages et Vasarely chez Grillon). Une eau-forte d’un Manet pensif par Degas a séduit pour 100 000 euros chez Martinez D., tandis que Sarah Sauvin a cédé un Jacques Bellange à 15 000 euros. Chez Documents 15, Mireille Romand et sa collaboratrice Maud Spira ont fait recette avec des œuvres de Charles-Élie Delprat, Érik Desmazières ou encore Delphine D. Garcia. « L’estampe ne s’adresse pas qu’aux collectionneurs, elle s’adresse aussi aux découvreurs et aux clients occasionnels, parfois très jeunes, qui tombent amoureux d’une œuvre à moins de 100 euros, analyse Mireille Romand. Elle permet aussi à des personnes d'acquérir des artistes autrement inaccessibles. J’ai par exemple vendu une estampe de Sam Szafran pour 2 800 euros à une collectionneuse que je n’avais jamais vue, qui s’est ensuite rendue à la galerie pour d’autres achats. Nous sommes une jeune galerie de 11 ans : constater la diversité des publics qui se déplacent à la foire est quelque chose de formidable. »

DDessin, anniversaire et déménagement réussis

Historiquement tenu rue de Richelieu, d'abord à l'Atelier Richelieu puis dans l'hôtel particulier Le Molière, le salon dédié au dessin contemporain DDessin a fêté sa dixième année de vie dans un écrin historique. Au 29, boulevard de La Tour-Maubourg, l'ancien hôtel particulier du XVIIIe siècle Domus Maubourg a accueilli dans ses salons hauts de plafond 2 500 visiteurs et douze galeries, pour la plupart satisfaites des ventes et du déménagement rive gauche. « Le nouveau lieu offre une circulation sur deux niveaux dans une maison qui combine une vaste pièce contemporaine sous verrière et des salles à l'étage au charme classique XIXe (parquets et moulures). Le public était heureux de découvrir un espace au caractère intimiste de salon, un peu "cabinet de collectionneur", qui est l'esprit de cet événement. Au regard de l'actualité mouvementée de Paris, nous avons certainement eu de la chance de nous trouver boulevard de la Tour-Maubourg plutôt que rue de Richelieu, a fortiori pour le vernissage de jeudi ! », indique le galeriste Olivier Waltman, qui affiche une vingtaine de pièces vendues, dont une sphère de Claire Fanjul à 2 500 euros et plusieurs dessins au graphite de Manon Pelan entre 1 800 et 2 900 euros, et un sold-out pour l'artiste cubaine Cristina Escobar (1 100-3 500 euros), notamment présente dans la collection Guerlain. La galeriste Mariska Hammoudi, qui repart avec la vente la plus élevée du salon, un dessin grand format de 100 x 148 cm Dialogue avec Matthias Stomer, L'adoration des bergers de Tudi Deligne cédé 12 000 euros, partage cet enthousiasme : « Le choix du Domus Maubourg pour accueillir l’exposition s’est révélé très pertinent. L’architecture et le raffinement du lieu ont fortement contribué à la réussite de l’exposition et à un accueil optimal du public. La hauteur sous plafond et les volumes offraient des conditions d’accrochage exceptionnelles et ont valorisé au mieux le travail des artistes présentés ». Mis en évidence par un solo show, l'artiste invité du salon, Miguel Marajo, a également rencontré un beau succès avec plusieurs œuvres acquises par un collectionneur privé et l'une par l'ambassade de Côte d'Ivoire en France (4 600 euros). La clientèle hétéroclite a réuni autant de jeunes collectionneurs et amateurs que de collectionneurs établis, professionnels du secteur et acteurs institutionnels. Sur le stand de Robet Dantec (Belfort), l'œuvre numérique In Urbe d'Ugo Arsac, actuellement résident à la Villa Albertine et lauréat du prix DDessin 2023, a été par exemple acquise par un centre d'art numérique. 

Salon du Dessin 2023
Robert Poughéon, "Fragment", 1931,
crayon et crayons de couleur sur papier, 54 x 44,5 cm.
Ambroise Duchemin.
Salon du Dessin 2023
Robert Poughéon, "Fragment", 1931,
crayon et crayons de couleur sur papier, 54 x 44,5 cm.
Ambroise Duchemin.
© Ambroise Duchemin.
Salon du Dessin 2023.
Vue du stand de la galerie de Bayser.
Salon du Dessin 2023.
Vue du stand de la galerie de Bayser.
© Photo Tanguy de Montesson.
Salon du Dessin 2023.
Vue du stand de la galerie Benjamin Peronnet, à gauche "Bœuf dans son étable" de Fragonard.
Salon du Dessin 2023.
Vue du stand de la galerie Benjamin Peronnet, à gauche "Bœuf dans son étable" de Fragonard.
© Photo Tanguy de Montesson.
Salon du Dessin 2023.
Vue des oeuvres de Fabienne Verdier sur le stand de la galerie Waddington Custot.
Salon du Dessin 2023.
Vue des oeuvres de Fabienne Verdier sur le stand de la galerie Waddington Custot.
© Photo Tanguy de Montesson/Adagp, Paris 2023.
Salon du Dessin 2023.
Vue du stand de la galerie Zeit Contemporary Art. A gauche une oeuvre d'Amoako Boafo.
Salon du Dessin 2023.
Vue du stand de la galerie Zeit Contemporary Art. A gauche une oeuvre d'Amoako Boafo.
© Photo Tanguy de Montesson/Adagp, Paris 2023.
Drawing Now 2023.
Drawing Now 2023.
© Photo Grégoire Avenel/Agence Coolhunt Paris.
Drawing Now 2023.
Sarah Jérôme, "Daydreams I", 2023, peinture à l'huile sur papier calque, 91 x 69 cm.
Galerie Vazieux.
Drawing Now 2023.
Sarah Jérôme, "Daydreams I", 2023, peinture à l'huile sur papier calque, 91 x 69 cm.
Galerie Vazieux.


© Courtesy de l'artiste et galerie Vazieux.

Drawing Now 2023.
Corinne Mercadier, "Le Nuage vagabond", de la série "La Nuit magnétique", 2022.
Galerie Binome.
Drawing Now 2023.
Corinne Mercadier, "Le Nuage vagabond", de la série "La Nuit magnétique", 2022.
Galerie Binome.
© Galerie Binome/Adagp, Paris 2023.
Drawing Now 2023.
Les oeuvres de Marine Wallon sur le stand de la galerie Catherine Issert.
Drawing Now 2023.
Les oeuvres de Marine Wallon sur le stand de la galerie Catherine Issert.


Courtesy des artistes et de la Galerie Catherine Issert © Galerie Catherine Issert/Adagp, Paris 2023.

Paris Print fair 2023.
Paris Print fair 2023.
© Inu studio.
Paris Print fair 2023.
Photo du stand de la galerie Documents 15.
De gauche à droite : Jenny Robinson, Jean-Baptiste Sécheret, Claude Abeille et Pierre Collin.
Paris Print fair 2023.
Photo du stand de la galerie Documents 15.
De gauche à droite : Jenny Robinson, Jean-Baptiste Sécheret, Claude Abeille et Pierre Collin.
© Courtesy Galerie Documents 15.
Paris Print fair 2023.
Edgar Degas, "Manet en buste", vers 1862-1865, eau-forte et pointe sèche, 28,4 x 20,4 cm.
Galerie Martinez D.
Paris Print fair 2023.
Edgar Degas, "Manet en buste", vers 1862-1865, eau-forte et pointe sèche, 28,4 x 20,4 cm.
Galerie Martinez D.
© Courtesy Galerie Martinez D.
DDessin 2023.
Manon Pellan, "Étreinte 5", 2022 , crayon graphite sur papier, 76 x 112 cm.
Galerie Olivier Waltman.
DDessin 2023.
Manon Pellan, "Étreinte 5", 2022 , crayon graphite sur papier, 76 x 112 cm.
Galerie Olivier Waltman.
© Courtesy Galerie Olivier Waltman.
DDessin 2023.
Vue du stand de la galerie Mariska Hammoudi.
A gauche : Tudi Deligne "Dialogue avec Matthias Stormer, L'adoration des bergers", 2023.
DDessin 2023.
Vue du stand de la galerie Mariska Hammoudi.
A gauche : Tudi Deligne "Dialogue avec Matthias Stormer, L'adoration des bergers", 2023.
© Galerie Mariska Hammoudi.

Article issu de l'édition N°2578