La profession en parle depuis des années : le métier de guide-conférencier est un des plus précaires du secteur culturel. Dans une enquête publiée à l’été 2020, la Fédération nationale des guides interprètes (FNGIC) affirmait en effet que le chiffre d’affaire annuel moyen des indépendants était de 26 700 euros et que seuls 36 % d’entre eux étaient salariés, précisant : « Le salariat n’offre aucune garantie de stabilité ni de sécurité. Une étude des contrats de travail montre que ceux-ci se caractérisent par une accumulation de contrats courts qui peuvent être combinés avec un travail non-salarié ». Alors que l’activité reprend lentement après de longs mois d’arrêt complet, les guides-conférenciers en chinois mandarin et cantonais peinent quant à eux à retrouver contrats et vacations. Et pour cause : malgré la réouverture des frontières le 8 janvier, les touristes chinois restent encore aux abonnés absents.
Quitter la profession ?
Guide-conférencière en auto-entreprise depuis 2010, Yinglai Gong raconte : « Dans les années 2010, il y avait beaucoup de touristes chinois en France ». Si la fréquentation des lieux culturels a légèrement chuté en 2015 suite aux attentats, le vrai coup de massue est arrivé avec la pandémie de Covid. « Entre 2020 et 2021, il n’y avait rien du tout, je n’avais plus de travail », se souvient la guide, membre de l’Association des guides-interprètes en langue chinoise. Dans son rapport, la FNGIC précise que sur la période du 1er mars au 31 mai 2020, « 40 482 prestations ont été annulées au total, soit 30 à 36 prestations annulées par personne ». Heureusement pour elle, Yinglai Gong était éligible aux aides de l’État et a touché chaque mois pendant cette période 1 500 euros qui lui ont permis de rester à flots. Mais lorsque le dispositif a pris fin en septembre 2021, les frontières avec la Chine étaient toujours fermées. « Je n’ai eu pratiquement aucun revenu entre cette date et juin 2022, raconte-t-elle. Beaucoup de mes collègues guide-conférenciers en langue chinoise ont quitté la profession à ce moment-là. Plus de 20 % d’entre eux – qui étaient auto-entrepreneurs comme moi – se sont reconvertis ».
Aussi, si le tourisme chinois redémarre, doit-on craindre une pénurie de guides-conférenciers en cantonais et mandarin ? Selon Yinglai Gong, ses anciens collègues devraient reprendre leur activité première une fois la crise vraiment passée… Voyant que le public chinois n’allait pas revenir tout de suite, et pour pallier l’absence d’aide de l’État, elle a commencé à travailler pour un public anglophone. « Depuis l’été dernier je travaille plus en anglais qu’en chinois », affirme-t-elle. Déjà, lors des multiples confinements en France et alors que musées et établissements culturels restaient porte close, la guide-conférencière avait tenté de trouver des solutions pour continuer son travail à distance. « J’ai développé mon entreprise en Chine et j’ai préparé un parcours pour le musée d’Orsay mais ça n’a pas donné grand-chose, détaille-t-elle. De temps en temps je faisais des visites en ligne de lieux à Paris comme l’Hôtel de Ville ou Montmartre ». Rien de très pérenne, donc.
Perspectives
Si les musées assurent se préparer au potentiel retour des touristes chinois en France, les guides-conférenciers concernés par ce public préfèrent rester prudents. « Selon les informations qui nous viennent des grosses agences de voyage en Chine, le nombre de vols entre la France et la Chine n’est toujours pas revenu à la normale », nuance Yinglai Gong. Alors qu’avant les débuts de la crise sanitaire on comptait deux à trois vols par jours, on n’en dénombrait que « six par semaine pendant tout le mois de janvier 2023 et on en prévoit huit en février », poursuit la guide-conférencière.
Par ailleurs, la Chine connaît une nouvelle vague de Covid depuis la levée brutale, le 7 décembre dernier, de la « politique zéro Covid ». Mi-janvier, le pays faisait état de près de 60 000 décès liés à la maladie dans les établissements médicaux chinois entre le 8 décembre et le 12 janvier. « Avant la pandémie, notre clientèle était essentiellement constituée de personnes à la retraite, analyse Yinglai Gong. Aujourd’hui, ceux qui voyagent sont surtout des gens qui ont d'importants moyens financiers, d’autant plus avec l’inflation, ou des salariés d'entreprises chinoises ». Si des touristes chinois vivant à Taïwan et Hong Kong continuent de venir en France, « c’est incomparable, en termes de quantité de travail, à l’avant-crise », conclut Yinglai Gong qui ne voit pas la situation s’améliorer pour elle et ses collègues avant juin prochain au minimum…