Il est primordial pour un artiste de disposer d’un texte critique de qualité sur son travail. C'est le souhait d'encourager ce format d'écriture qui est à l'origine des bourses Ekphrasis, lancées par l'ADAGP en association avec l’AICA France et le Quotidien de l’Art : elles ont pour objet de mettre en relation 10 artistes avec autant de critiques. Les textes des 10 lauréats de cette troisième édition (dotés chacun de 2 000 euros, couvrant la rédaction du texte et sa traduction) sont publiés au long de l'année dans le Quotidien de l'Art, au rythme d'un par mois. Dans cette première livraison de 2023, Vanessa Morisset se penche sur le travail d'Amélie Berrodier.
Et si quelqu’un-e nous disait que les objets ont (encore) une âme ? Dans La Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt insistait sur la nécessité pour les humains d’être entourés d’objets durables qui constituent leur monde, à l’encontre de la société de consommation telle qu’elle se profilait déjà. L’existence humaine « serait impossible sans les choses, et les choses seraient une masse d’éléments disparates, un non-monde, si elles ne servaient à conditionner l’existence humaine » écrivait la philosophe. C’était en 1958. Dans Le Consumérisme à travers ses objets. Gobelets, vitrines, mouchoirs, smartphones et déodorants (2021), Jeanne Guien, elle aussi philosophe, spécialiste de la notion d’obsolescence, montre comment de plus en plus les choses que nous utilisons sont conçues pour nous obliger à adopter des gestes et comportements puis, une fois leur mission accomplie, disparaissent, remplacées par d’autres... Entre la nécessité persistante et l’impossibilité aujourd’hui de s’identifier à des objets, les œuvres d’Amélie Berrodier cherchent des formes de permanence que l’on peut inventer pour sauver l’éphémère, c’est-à-dire les manières dont une part des existences…