« S'intéressera-t-on à un artiste qui fait l'idiot à la fin des années 2000, avec quinze ans de retard sur le moment où il convenait de l'être ? », se demande l'artiste et écrivain Édouard Levé (1965-2007) dans un article en 2006, un an avant qu'il ne se pende, après avoir rendu le manuscrit de son dernier roman, Suicide, à son éditeur. Homme de talent et d'esprit, de sérieux autant que de jeu, Édouard Levé aura laissé derrière lui un monde à part, un peu décalé, faisant toujours un pas de côté... Comme par exemple sur cette surprenante Entrée de Paris, prise au cours d'un voyage en Amérique à la recherche des villes jumelles de Paris, Bagdad, Berlin, Téhéran... Exposée en 2007 au Centre Pompidou, cette photographie a été vendue il y a quelques semaines par la galerie Loevenbruck, qui publie un catalogue d'œuvres en partie inédites de l'artiste, suite à l'inattendue ouverture de ses archives gardées à l'IMEC (Institut mémoires de l'édition contemporaine) et de la parution de ses Inédits chez POL. Ce cliché, défiant tout cliché de Paris, témoigne de l'attitude et du regard qu'Édouard Levé portait sur le monde - terrain inépuisable de trésors enfouis à la surface, de recherches et de découvertes à mener, à bien ou à mal - et sur la vie, ce grand quelque chose fait de victoires anodines et de ratés réussis, comme ces duos de Dessins aveugles, dont un est réalisé à la main droite et l'autre à la main gauche, d'angoisses légères et drôles, comme ces portraits photo du village Angoisse, mais aussi plus sérieuses, inspirant une œuvre riche d'instants vécus et non vécus, dont l'intérêt ne peut qu'être à nouveau affirmé, et d'autant de questions laissées sans réponse : « Pourquoi suis-je né plutôt que le contraire ? Qui est l’Edouard Levé du miroir ? Est-ce que demain existera toujours ? Combien d’ancêtres ai-je jusqu’aux animaux ? Où partent les rêves dont je ne me souviens pas ? Le plus beau jour de ma vie est-il passé ? Si oui, pourquoi n’est-il pas marqué sur mon agenda ? Si je passais mon temps à écrire ce que je vis, vivrais-je encore ? »
L'image du jour
