Tous les secteurs économiques sont touchés : l’accélération du commerce en ligne bouleverse jusque nos musées. Construit comme temples atemporels hors de la sphère marchande, doivent-ils suivre ce changement de mode de consommation ? Nombreux sont ceux qui, au lendemain de la pandémie, se sont lancés dans la danse : le musée des beaux-arts d’Orléans lançait sa boutique en ligne en un temps record en 2020, le musée des beaux-arts de Montréal inaugurait la sienne à l’hiver, suivait le Louvre jusque-là représenté par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais. En septembre dernier c’est la manufacture de Sèvres qui s’engageait sur le terrain du commerce numérique. Avec 55 millions d’euros pour les 34 boutiques physiques en gestion de la RMN-GP en 2019, les enjeux financiers et le potentiel de développement du e-commerce sont substantiels. Mais les initiatives commerciales sur la toile présentent-elles un écueil scientifique faisant du musée un nouveau lieu de consommation comme un autre ?
Une clé pour la diversification des publics
« Mettre en place une boutique en ligne est très lié à la question de l’appropriation culturelle, à notre capacité à diffuser l’art au plus grand nombre », remarque Sophie Barcelord, responsable e-commerce à la RMN-GP dont les premières tentatives de e-commerce ont été pionnières dans le monde patrimonial en 1999. « Si une partie des ventes concerne nos visiteurs qui ne souhaitent pas repartir du musée encombrés de leurs achats, tout un pan de nos ventes résulte de mots clés comme '' jeu enfant '', '' produit Picasso '' sur les moteurs de recherche et touche donc un public différent. C’est sur ce plan que nous avons un rôle à jouer pour aller chercher un public qui ne nous connaît pas forcément. Par le numérique, nous touchons des publics qui ne fréquentent pas (encore !) nos boutiques de musées. En développant des produits ciblés, comme la ligne de skateboards en partenariat avec l’estate de Jean-Michel Basquiat, nous touchons par exemple le public adolescent, difficile à attirer au musée. » Commerce et diversification des publics, là n’est la seule piste de développement.
S'ancrer dans un territoire
« Les musées ne devraient pas être réticents à l’idée d'étendre leur politique commerciale. Bien au contraire, en tant qu’institutions prescriptrices, ils ont un rôle à jouer dans l’évolution nécessaire des modes de consommation, estime Emmanuel Delbouis, consultant stratégie et marque au ministère de la Culture. Ils doivent se positionner sur les enjeux de développement durable, d’éco-responsabilité, les circuits courts, les savoir-faire, mais aussi de consommation en ligne… ». À Strasbourg, les musées de la ville se sont engagés depuis une dizaine d’années dans le soutien de l’économie locale en mettant en lumière sur leurs étales les productions des entreprises du territoire. À Chambord, le château s’est tourné vers la production locale avec ses produits de la ruche, du potager, de la vigne… Cette petite révolution qui fait passer la production locale devant le sourcing des produits proposés à la vente n’est pas réservée au patrimoine français d’essence publique. À Porto, la fondation d’art contemporain Serralves, rompue aux produits moyen et haut de gamme développés avec des artistes contemporains comme Ai Weiwei, s’est embarquée dans un virage de produits éco-responsables mettant en avant la vallée du Douro. « Les boutiques de musées peuvent contribuer à ancrer l’institution sur son territoire, à soutenir l’économie locale, à être une vitrine des savoir-faire territoriaux ou nationaux. Aussi, les musées ne peuvent pas rester à coté de cette tendance générale », insiste Emmanuel Delbouis.