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Justine Cardoletti - Son, bruit et silence : l'audible dans la sculpture des XVIIe et XVIIIe siècles en France

Justine Cardoletti - Son, bruit et silence : l'audible dans la sculpture des XVIIe et XVIIIe siècles en France
Justine Cardoletti, 2022.
© INHA.

Lors des Journées européennes du patrimoine, l’Institut national d’histoire de l’art a accueilli dimanche 18 septembre, dans son auditorium, la présentation par 20 jeunes chercheurs de leurs travaux. Le prix des internautes, par un vote en ligne après les exposés des candidats, a récompensé Justine Cardoletti, qui succède à Christophe Zhang, primé en 2021. Voici la retranscription intégrale de son intervention.

Au risque de surprendre, aux XVIIe et XVIIIe siècles, la télé et le cinéma n’existaient pas. Les spectateurs devaient donc choisir entre divertir leurs yeux, avec la peinture ou la sculpture, ou leurs oreilles, avec la musique. Pour autant les spectateurs de l’époque étaient-ils condamnés à préférer leurs yeux à leurs oreilles, ou inversement ? Heureusement non.

Les artistes, et en particulier les sculpteurs, n’ont cessé de jouer avec les limites pour animer leur art. Et quoi de mieux pour donner l’impression du vivant que le bruit ? Synonyme de vie, le sonore est justement au cœur de mon mémoire. Sujet paradoxal me direz-vous ! Je vous l’accorde, la sculpture est un art visuel, inerte et par conséquent silencieux. Mais, si on ne peut pas écouter avec les oreilles, ne peut-on pas écouter avec les yeux ?

Pour comprendre ce phénomène étonnant, je vous propose de plonger dans l’étude des morceaux de réceptions sculptés de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Ces œuvres ont été réalisées par des sculpteurs en vue d'être admis à l’Académie ; et en 150 ans d’existence, l’institution en a reçu pas moins de quatre-vingt-dix-sept. Ce travail a pour vocation de vous faire découvrir l’univers acoustique de ces sculptures, ou plutôt d’éveiller en vous la curiosité de tendre vos oreilles, ou vos yeux, pour les écouter.

Toute expérience auditive en lien avec la sculpture commence nécessairement par une identification des sources sonores. La voix, les instruments, le vent ou le drapé sont autant de motifs sonores utilisés par les sculpteurs. Grâce à la métonymie, qui évoque le son au travers de la représentation de l’objet sonore, l’artiste peut insérer une dimension audible dans une œuvre visuelle. Il vient ensuite combiner ces sources sonores entre elles, pour composer les sculptures telles des partitions musicales, et construire une ambiance sonore. Enfin, tel un musicien, le sculpteur ajuste les nuances sonores, pour rendre l’audible conforme au visible. Ainsi, le roi est silencieux là où le Titan ou l’Hérésie sont bruyants.

La synesthésie devient alors l’instrument du virtuose et garantit la maîtrise et le talent. Et convaincre les académiciens c’est bien, mais séduire les spectateurs c’est mieux, surtout quand il s’agit de clients potentiels. À une époque où la sensation prime sur l’esthétique, il est essentiel pour le sculpteur d’enivrer les sens. Il devient alors magicien et joue avec les limites. Celle des sens, entre la vue et l’ouïe, celle des arts, entre la musique et les arts visuels, et surtout celle de la vie. Par exemple, dans les sculptures représentant une figure qui crie, la voix est comme une percée qui point vers le spectateur, vers vous, et transgresse alors son statut d’œuvre d’art pour s’inviter dans le vrai monde, notre monde.

Est-ce que l’artiste souhaite alors faire illusion ou donner vie ? S’identifie-t-il davantage à l’artiste virtuose ou au démiurge ? En pleine quête du vivant, les sculpteurs ont réussi à trouver une place entre les automates et le mythe de Pygmalion ; et à perfectionner leur illusion tout en s’appuyant sur votre imagination car oui, sans vous, rien ne serait possible.

Ce mémoire prouve ainsi que la sculpture, malgré ses propriétés contraignantes – appartenance au domaine visuel et utilisation de matériaux inertes - , est bien un art à la croisée des sens : celui de la vue et de l’ouïe. Et à une période où l’étude des sens passionne, musique et arts visuels se rencontrent et donnent naissance à un délicieux flirt entre le visible et l’audible.

Alors, entendre une sculpture, rêve ou réalité ?

Article issu de l'édition N°2466