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Les musées à l'ère du Web3

Les musées à l'ère du Web3
Diane Drubay.
© Photo Evelyn Bencicova.

Dans un contexte de récession du marché des crypto-monnaies, les musées et institutions culturelles se mettent petit à petit au Web3 et aux NFTs.

Alors que les maisons de ventes aux enchères et les galeries ont déjà bien avancé dans leur utilisation des NFTs ou jetons non fongibles, en profitant du boom des crypto-monnaies de 2021, le monde des musées et des institutions culturelles semble plus prudent dans son exploration de ce marché volatile et risqué, puisqu’encore en construction. Certains musées ont déjà tenté leur chance avec une vente NFT, « un drop » [nldr : mise en vente d'un projet NFT], ou autre initiative isolée, mais la majorité étudie encore ses options. La période actuelle de récession des crypto-monnaies semble d’ailleurs être un bon moment pour prendre du recul et réfléchir aux solutions que peut apporter le Web3 aux musées. Il est également important de rappeler que les NFTs ne sont pas les seuls outils pour explorer le Web3 (ou la troisième génération de services Internet basée sur un système de bases de données décentralisées, ou blockchains). Par exemple, les environnements virtuels (ou métavers), les systèmes de vote et de gouvernance (ou Decentralized Autonomous Organisations), la curation décentralisée, la formation de communautés en ligne et bien d’autres outils encore sont à leur disposition.

Les Offices, l’Hermitage et le British se mettent au Web3

Certaines institutions culturelles ont déjà engagé des initiatives autour du Web3. À partir de mai 2021, soit deux mois après la vente record de Beeple chez Christie's, quelques musées se sont lancés. On citera par exemple la galerie des Offices (Florence), le musée de l’Hermitage (Saint-Pétersbourg), le musée du Belvédère (Vienne) et le British Museum (Londres). Leurs initiatives sont en général centrées sur des ventes de NFTs représentant des chefs d'œuvres de leurs collections permanentes (dans le domaine public), ventes souvent réalisées avec un partenaire technique, comme les plateformes de services Cinello, artèQ ou LaCollection. À l’heure actuelle, les musées envisagent des projets plus larges, inscrits dans une logique de valeur ajoutée pour leurs visiteurs sur le long terme. Cependant, comme pour toute nouvelle technologie, on tâtonne, on apprend et on évolue : le Leopold Museum (Vienne) a lancé sa collection sur la plateforme LaCollection, en déclinant des NFTs à l'effigie des œuvres phares de leur collection Egon Schiele. Or, une utilité claire est attachée au NFT, comme un ticket pour visiter le musée, une visite guidée, ou encore un dîner avec un curateur, effaçant l'idée que le NFT est un simple collectible (objet numérique de collection).

Des possibilités infinies

Le NXT Museum, pour sa part, explore comment construire un système de billetterie basé sur les NFTs facile d’utilisation ainsi qu’un moyen d’organiser des expositions de manière décentralisée. Merel van Helsdingen, fondatrice du musée, explique : « Nous sommes enthousiastes face aux possibilités que le Web3 apporte au monde de l'art traditionnel. Les outils augmentent la transparence et c'est une nouvelle façon de connecter avec une communauté autour de l'art et de la technologie. » Le musée fait d’ailleurs partie du programme de bourses et d'éducation WAC (Web3 for Arts and Culture) organisé par Diane Drubay, fondatrice de We Are Museums, en collaboration avec Tezos et BAD (Blockchain Art Directory), permettant à neuf institutions de se plonger dans l’univers du Web3 pendant quelques mois à travers une série de classes, du mentorat et des ateliers pour se lancer. Diane Drubay souligne d’ailleurs que « les futurs probables sont infinis et imprévisibles. Il est important de parler d'un avenir Web3 pour les arts et la culture au pluriel. Nous n'avons pas encore une idée de toutes les possibilités pour les musées, mais nous savons que son exploration est cruciale ». Plusieurs festivals d’art numérique explorent aussi la question de l’utilisation du métavers et des NFTs pour construire une communauté active toute l'année : Octobre Numérique, un festival d’art numérique basé à Arles, s'intéresse à l’utilisation d’oracles pour intégrer des données du monde réel comme la météo ou le niveau de pollution dans des NFTs interactifs.

Comment se lancer ?

Le site de l’initiative WAC FELLOWSHIP publie une liste de ressources pour les institutions. Deux nouvelles publications se centrent également sur les applications Web3 dans le monde de l’art avec des critiques et articles de fond : Outland.art et Rightclicksave.com. Se lancer dans le Web3 passe également par l’utilisation du « Crypto Twitter », où il est possible de suivre les curateurs et critiques impliqués dans ce secteur tels que Charlotte Kent, journaliste et enseignante à l'Université de Montclair, Christiane Paul, curatrice au Whitney Museum of Art, Jason Bailey, fondateur d’Artnome, Regina Harsanyi, spécialiste des arts nouveaux media et Maria Paula Fernández, fondatrice de JPG Space. Compte tenu de la spéculation financière et des marchés de l’art et du crypto, le monde de l’art et ses institutions doivent avancer prudemment en prenant le temps qu’il faudra et en s’assurant que leurs valeurs soient alignées avec les nouvelles opportunités et initiatives du Web3 pour ne pas aliéner leur communauté actuelle et à venir. Les éléments fondamentaux de la blockchain ne sont d’ailleurs pas si éloignés du système de valeur des musées. On retrouve d’ailleurs les mêmes termes : démocratisation, accessibilité, inclusion, équité, contenu partagé, etc. « C'est peut-être ma vision muséale qui ne cesse de changer ma perspective de la réalité mais quand je lis les mots "communauté, sécurité, digne de confiance, ouvert", je pense à un musée avant même de penser à la blockchain, et je ne suis pas la seule », conclut Diane Drubay.

Collection de NFTs des oeuvres d'Egon Schiele du Leopold Museum de Vienne avec LaCollection.
Collection de NFTs des oeuvres d'Egon Schiele du Leopold Museum de Vienne avec LaCollection.
© LaCollection/Leopold Museum, Wien.
Image extraite du projet "On ne peut empêcher les oiseaux..." du collectif u2p050 qui sera visible à l'Église des Trinitaires, pendant le festival Octobre Numérique - Faire Monde 2022 en Arles en octobre prochain.
Image extraite du projet "On ne peut empêcher les oiseaux..." du collectif u2p050 qui sera visible à l'Église des Trinitaires, pendant le festival Octobre Numérique - Faire Monde 2022 en Arles en octobre prochain.
© u2p050.
Beeple, "Everydays: The first 5000 days", 2021, jeton non-fongible (NFT), 21,069 x 21,069 pixels. Adjugé 69 millions de dollars (frais compris) le 11 mars 2021 chez Christie’s.
Beeple, "Everydays: The first 5000 days", 2021, jeton non-fongible (NFT), 21,069 x 21,069 pixels. Adjugé 69 millions de dollars (frais compris) le 11 mars 2021 chez Christie’s.
© Christie's limited image.
DAW® (Digital Artwork) du "Tondo Doni" de Michel-Ange réalisé pour la galerie des Offices (Florence) par la plateforme Cinello.
DAW® (Digital Artwork) du "Tondo Doni" de Michel-Ange réalisé pour la galerie des Offices (Florence) par la plateforme Cinello.
© Cinello.

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