Le Quotidien de l'Art

Acteurs de l'art

Photographies d'expositions : des images objectives ? 

Photographies d'expositions : des images objectives ? 
Biennale Paris, 2018. Grand Palais.
© Maurine Tric.

Acteurs et actrices de l’ombre, les photographes chargés de réaliser les prises de vues des expositions sont des rouages essentiels du secteur culturel.

Aurélien Mole, Marc Domage, Rebecca Fanuele, Martin Argyroglo ou encore Maurine Tric… Ces noms font partie de ceux qu’on retrouve le plus souvent en copyright des clichés partagés par les galeries, musées ou centres d’art dans leurs supports de communications. Ils et elles ne sont qu’une trentaine en France spécialisés dans le domaine assez spécifique de la photographie d’exposition. Loin des projecteurs, cette niche de la photographie est pourtant essentielle : un cliché d’exposition l’annonce, la documente, sert parfois à la transaction d’une œuvre ou l’archive, une fois l’événement terminé. « On est les petites mains de l’histoire de la photographie, dit Aurélien Mole entre deux shootings. C’est un travail sans grands noms. » Diplômé de l’Ecole du Louvre et de l’Ecole nationale supérieure de la photographie d'Arles, Aurélien Mole est arrivé un peu par hasard dans ce secteur. « Je faisais des commissariats d’expositions et j’ai commencé à documenter les expositions que j'organisais avec mon association, confie-t-il. De fil en aiguille, les artistes avec lesquels j’avais travaillé m’ont demandé de faire des photographies de leurs autres expositions et c’est comme ça que ça a commencé. » 

Le parcours de Maurine Tric est assez similaire. La photographe l’affirme : « Le bouche-à-oreille est omniprésent » dans le secteur. Et de poursuivre : « Je travaille beaucoup avec la Cité des Arts qui m’a recommandée auprès de la galerie Lily Robert avec laquelle je collabore désormais ». C’est aussi le hasard qui a amené Martin Argyroglo à réaliser des photographies d’expositions. Étudiant aux Beaux-Arts, il répond à une demande d’un Frac. « Il n’y avait aucune stratégie de ma part. À l'époque j’étais surtout photographe d’architecture, et aujourd’hui j’ai orienté ma pratique vers la culture, notamment le spectacle vivant ou les activités avec le public, précise-t-il. Personne ne nous voit. Quand on photographie une exposition, on agit un peu en sous-marin et c’est pour ça que je ne veux pas faire que ça. » 

Timing serré et post-production

Si certains ont fait le choix de la diversification des sujets et des clients, d’autres se sont spécialisés dans la prise de vues d’espaces d’exposition pour ne ne vivre que de ça. C’est le cas d’Aurélien Mole qui en vit totalement depuis 14 ans. S’il explique avoir mis cinq ans à percer dans le milieu, le photographe a fini par « atteindre sa base critique sans démarcher personne ». Question statut et rémunération, presque tous œuvrent en indépendants et demandent entre 200 et 350 euros TTC pour les prises de vues d’une exposition. Tous, également, sont rémunérés en droits d’auteur, et ils doivent, dans la majorité des cas, organiser eux-mêmes leurs voyages. « J’avance tous les frais de transports, location de matériels… », confirme Aurélien Mole.

Lorsqu’il ou elle arrive dans une exposition, le photographe doit d’abord « réussir à bien appréhender l’espace, détaille Maurine Tric. Il faut trouver les bons angles, la bonne hauteur ou encore la bonne lumière ». Martin Argyroglo ajoute que les lieux d’expositions sont souvent « des espaces compliqués. Il faut réussir à offrir une représentation juste à quelqu’un qui n’a pas encore vu l’exposition, sans trahir la scénographie ». Lorsqu’il fait les prises de vue, le photographe se positionne en visiteur : « Je visite en photo et prends mon temps ».

La plupart des photographes d'exposition traitent leurs images avant de les envoyer au commanditaire, dans des délais courts. « En général, on réalise les prises de vues dans l’après-midi du jour du vernissage, décrit Maurine Tric. Il faut les retoucher rapidement pour les livrer le soir-même. » Il faut livrer les photographies le plus rapidement possible pour qu’elles puissent être utilisées sur les supports de communications des galeries, musées ou centres d’art.

Le statut complexe des images et de leurs auteurs

« Depuis quelques années des questions sont posées : qui fait ce type d'images et comment ? », commente Aurélien Mole. Que dit le photographe au sujet de l'exposition et quelles sont les fonctions de ces images ? Dans un article de 2014, le chercheur Remi Parcollet explique que « la vue d’exposition s’impose désormais comme une façon de poser la relation de l’art à la photographie. Au-delà d’une pratique, elle est un véritable paradigme photographique. Artistes et commissaires, de plus en plus investis dans la réception et la mise en image de leur travail, utilisent cette documentation comme outil pour penser la mise en espace, mais aussi re-penser l’histoire de l’art exposé. L’accès à cette riche matière archivistique s’inscrit dans le contexte d’un intérêt croissant pour l’histoire des expositions, auquel elle n’est pas étrangère ».

Une fois archive, la photographie d'exposition sert l'histoire et l'historiographie de l'art : c'est par les images de Balthasar Burkhard que nous connaissons les expositions organisées par des figures aussi importantes qu'Harald Szeemann dans les années 1960-1970. Dans un texte publié sur son site internet, Aurélien Mole s'interroge sur l'objectivité des photographies d'exposition : quelle est l'influence des destinataires de ces photographies dans la prise de vue ? Si, la photographie d'exposition « enregistre une mise en scène temporaire d’œuvres d’art, de documents ou d’objets de façon à restituer avec le moins d’ambiguïté possible les relations qui se tissent entre ces éléments, il entre toujours une part de subjectivité dans la façon dont l’opérateur va documenter l’exposition ». Elle est bien, pour Remi Parcollet, « le fruit d’un point de vue, du regard d’un auteur, qu’il soit photographe, artiste, curateur, critique ou historien. L’interroger comme telle ouvre une voie de recherche particulièrement féconde, conduisant à restituer à ses auteurs leur apport fondamental dans l’écriture de l’histoire de l’art et à mieux dévoiler un effet rampant de patrimonialisation des œuvres par les expositions ».

Aurélien Mole, autoportrait.
Aurélien Mole, autoportrait.
© Aurélien Mole.
Jean-Luc Moulène,  «  Implicites & Objets » , galerie Chantal Crousel, 2020.
Jean-Luc Moulène, « Implicites & Objets » , galerie Chantal Crousel, 2020.
Martin Argyroglo
Martin Argyroglo, autoportrait.
Martin Argyroglo, autoportrait.
© Martin Argyroglo.
« Véronique » , exposition de Julien Carreyn et Aurélien Mole au Frac Poitou Charente en 2019.
« Véronique » , exposition de Julien Carreyn et Aurélien Mole au Frac Poitou Charente en 2019.
© Aurélien Mole
« Sir Thomas Trope », exposition  d’Aurélien Mole et Julien Tiberi à la Villa du Parc en 2012.
« Sir Thomas Trope », exposition d’Aurélien Mole et Julien Tiberi à la Villa du Parc en 2012.


© Aurélien Mole

Maurine Tric, photographe.
Maurine Tric, photographe.
© Maurine Tric.
Vue de l'exposition « Turner » au musée Jacquemart-André, 2020.
Vue de l'exposition « Turner » au musée Jacquemart-André, 2020.
© Maurine Tric.
Fiac, 2018, Grand Palais. 303 Gallery.
Fiac, 2018, Grand Palais. 303 Gallery.
© Maurine Tric.
Martine Feipel & Jean Bechameil, « Garden of Resistance » , Mudam Luxembourg, jusqu'au 09 janvier 2023.
Martine Feipel & Jean Bechameil, « Garden of Resistance » , Mudam Luxembourg, jusqu'au 09 janvier 2023.
Martin Argyroglo
Aurélien Mole, exposition « Bénin Solo Show ! »  au CAC Passerelle à Brest en 2016.
Aurélien Mole, exposition « Bénin Solo Show ! » au CAC Passerelle à Brest en 2016.
© Aurélien Mole.

Article issu de l'édition N°2423