Remise en cause car trop généraliste ou stigmatisante, la notion d'« art brut » – forgée par Jean Dubuffet dans les années 1940 pour définir les œuvres de patients d'hôpitaux psychiatriques ou de « marginaux », en grande majorité autodidactes –, est aujourd'hui souvent déclinée dans sa version anglophone d'« outsider art ». Plus large, l'expression permet d'englober les artistes dont l'œuvre n'a pas emprunté les canaux mainstream usuels (école, marché, critique), et est donc restée dans un certain isolement – raison pour laquelle depuis près d'un siècle, son histoire n'est qu'une succession de « redécouvertes » (les femmes ayant été, comme pour le reste, encore plus invisibilisées). Dernier exemple en date : les sculptures d'Ovartaci, artiste transgenre qui vécut plus de 50 ans dans un hôpital psychiatrique danois, sont présentées actuellement à la biennale de Venise. Dans Artnet, Mia Lejsted, directrice du musée consacré à l'artiste à Risskov, prévient cependant : « Nous n'utilisons jamais le terme ''outsider artist'' pour la décrire. Peu importe que vous soyez ''à l'intérieur'' ou ''à l'extérieur'' du monde de l'art. Peut-être qu'Ovartaci nous montre un troisième lieu où l'on peut être… »
Genèse, contexte de production, statut social de l'auteur… : les objets produits par les personnes ayant des troubles psychiatriques ou situés en marge de la société ont-ils un statut particulier ? Dans l’ouvrage collectif Art Brut : une avant-garde en moins ?, l’enseignant-chercheur en histoire de l'art Baptiste Brun détaille : « Les instances de promotion d’accès au monde de l’art ne relèvent pas directement des producteurs, mais de la cohorte d’inventeurs, prospecteurs, découvreurs, écrivains… » Ceux-là même qui, « à partir de 1975 et pendant un quart de siècle, ont commencé à écrire une histoire de l’art brut qui se construit dans un ensemble de livres, revues et expositions, en France et en Suisse ». Pour beaucoup, l'artiste « brut » créerait sans songer au futur spectateur : ainsi là plus encore que dans l'art « normalisé », c'est le regardeur qui fait l'œuvre. Comment, dès lors, éviter que l’artiste ne soit dépossédé du discours sur son propre travail ? Le collectionneur Antoine de Galbert défend le rôle des personnes extérieures : « Quel était le ''discours'' de Judith Scott [sculptrice américaine décédée en 2005, ndlr] ? Bien difficile à dire. Du jour où l’œuvre est acquise par un collectionneur, qu’elle soit d'art brut ou non, il…