Dans les salles obscures de la Punta della Dogana, à Venise, se frayer un chemin au travers de l’exposition « Pierre Huyghe. Liminal » peut s’avérer aventureux tant, en son sein, on n’y voit rien. L’atmosphère volontairement sombre, parfois inquiétante, s’atténue quelque peu lorsque le visiteur pénètre dans une pièce dédiée aux aquariums. Avec une joie un brin puérile, on se surprend à essayer d’entrer en communication avec les poissons, de faire se mouvoir les crabes, d’observer le comportement des étoiles de mer. Feuilletant le livret de visite, on tombe alors sur un disclaimer dans lequel surgissent les lignes suivantes : « Palazzo Grassi – Punta della Dogana – Pinault Collection et l’artiste ont à cœur la préservation des espèces présentes dans les œuvres, et des précautions ont été prises dans le but de garantir le bien-être des animaux. Les conditions dans les aquariums sont surveillées en permanence, et des experts des aquariums externes au musée se chargent de leur apporter tous les soins requis. » Suit une phrase assurant que « toutes les autorisations nécessaires à la présence des animaux dans l’exposition ont été demandées » et que lorsque celle-ci va prendre fin, le 24 novembre, « les animaux seront préservés dans un habitat qui tiendra compte des besoins de chaque espèce ». Les interrogations suivantes apparaissent alors : d’où viennent ces animaux ? Ont-ils été transportés de l’atelier de l’artiste jusqu’à Venise ? Comment, en tant que spectateur et malgré l’apparente bonne volonté de l’institution, s’assurer qu’ils sont bien traités ? Posée sous cette forme, la question fait sourire le docteur en philosophie esthétique et auteur de la thèse « Pour une esthétique du vivant. Enquête philosophique sur les rencontres avec le vivant dans l’art actuel », Joshua de Paiva. Il se souvient d’avoir visité une exposition de Pierre Huyghe à la Serpentine Gallery en 2018 : « Il y avait des milliers de mouches dans l’exposition et un texte expliquant que les mouches sont bien traitées, qu’elles vivent leur cycle complet. Ce qui m’a fait ironiser, c’est que ce type de grosses mouches, dans la vie, on n’a pas envie de vivre avec elles. » Majoritairement considérées comme indésirables dans la vie quotidienne, qu’elles se retrouvent dans un contexte artistique feraient d’elles des êtres dont on se soucie ? L’empathie serait-elle à géométrie variable en fonction de l’animal, les insectes en suscitant généralement moins ?
Éthique animale
Posée depuis plusieurs années, la question du bien-être des animaux présentés au sein d’œuvres d’artistes contemporains a fait couler beaucoup d’encre : on se souvient des poursuites…