Enfin la rétrospective que l'on attendait pour une artiste au nom mystérieux : « Fascinée par la Révolution française, elle a pris ce pseudonyme en hommage au mot citoyen », explique Annie Le Brun, commissaire et écrivain qui partage avec l'artiste d'origine tchèque un même parcours atypique, le goût pour la liberté, la passion des mots. Née à Prague en 1902, morte à Paris en 1980, Toyen, de son vrai nom Marie Cerminová, a traversé le siècle, ses affres et ses avant-gardes. Elle a anticipé l'abstraction lyrique dès les années 30 avec ses toiles chargées de matière, inventé l'artificialisme, frayé avec le cubisme, le surréalisme, réalisé des collages, des centaines de jaquettes de livres. Elle a fréquenté cafés, cirques et bordels, publié une revue érotique et illustré des brûlots (la première traduction tchèque de Justine en 1932), connu la vicomtesse de Noailles, André Breton ou Denise René (chez qui elle fait sa première exposition en 1947). Malgré la violence des temps – les guerres et les fascismes qu'elle a croqués en dessins noirs pleins de spectres et de squelettes ou en allégories colorées – elle n'a cessé au cours de ses pérégrinations, de la Mitteleuropa à Paris, d'emprunter de nouveaux chemins. Venue du cœur du continent, elle s'est abreuvée de la Méditerranée – sur l'île de Korcula en 1922 –, de l'Atlantique – sur l'île de Sein –, de la Seine – elle a longtemps habité un petit hôtel de l'île Saint-Louis. Comme une parabole : face à tous les embrigadements politiques, artistiques et idéologiques, elle a maintenu le tempérament rebelle d'une insulaire.
« Toyen, l'écart absolu » au Musée d'Art Moderne de Paris, jusqu'au 24 juillet.