Le Quotidien de l'Art

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« Il est grand temps de rallumer les étoiles », écrivait Apollinaire un soir, il y a cent ans et des poussières. Terré au sol entre deux combats, il compose des poèmes comme d’autres mains façonnent un peu plus loin des armes. Car, si futile la poésie soit-elle face aux abominations qui terrassent le monde, c’est peut-être encore vers elle que peut se tourner l’esprit humain quand l’espoir s’éteint, et que tout rime étrangement avec fin. Alors bien sûr, quand le duo d’artistes amstellodamois Drift imagine pour les 5 ans de l’Elbphilharmonie d’Hambourg une performance lumineuse avec 300 drones, le spectre de l’invasion russe se tient encore au lointain. Mais c’est que les choses du monde se (dé)font vite ces jours-ci, et qu'un instant suffit pour qu’en soient rebattues les cartes, terrestres, mais aussi célestes. Objet technique symbolique d’une ère où la destruction est d’autant plus imprévisible qu’elle est devenue intangible, commandée à distance comme par des forces invisibles, le drone pourrait aussi bien, à l'inverse, se faire le porte-parole d’une nouvelle voie de la création contemporaine, qui s’élève dans les airs pour dessiner pendant quelques minutes une chorégraphie laissant bouche bée. Tantôt pluie, tantôt nuage, la constellation d’étoiles mouvantes et filantes que forment les centaines de drones pilotés quelque part sur Terre par des mains techniques et artistiques est bien digne d’un calligramme apollinarien. Un siècle après ces Poèmes de la paix et de la guerre, l’installation-performance de Drift, dont toutes les représentations successives ont dû être annulées en raison d’attaques de drones étrangers pendant la première, causant des « perturbations du trafic aérien d'une intensité et d'une agressivité comme jamais l’Allemagne n’en avait connues », selon les dires des autorités chargées de la sécurité aérienne, répond comme un écho lointain aux vers du poète et « voilà, voilà l’histoire de toutes les étoiles / et depuis ce soir-là, j’allume aussi l’un après l’autre / tous les astres intérieurs que l’on avait éteints… ».

Article issu de l'édition N°2382