Monté sur quatre pattes mécaniques, le chien-robot Spot se déplace sans trébucher, agile sur les gros blocs de basalte pavant les rues de l'antique cité ensevelie par l'éruption du Vésuve en 79 après J.-C. Conçu par Boston Dynamics, une entreprise d'ingénierie et de robotique issue du Massachusetts Institute of Technology, il peut suivre un itinéraire programmé ou être piloté à distance. Adopté fin mars par la direction du site archéologique de Pompéi, ce canin de puces électroniques et de métal – coûtant environ 70 000 euros – doit aider les gardiens à surveiller 98 hectares (dont seuls 44 ont été déblayés).
Équipé d'une caméra couleur à 360° et de divers capteurs, Spot patrouille jour et nuit à la recherche de traces d'érosion, d’écroulement ou d'effraction. Il a notamment la souplesse requise pour explorer les tunnels – récents ou anciens – creusés par les pilleurs d'antiquités. Fragilisant les vestiges, ces trouées doivent être répertoriées et condamnées. « Souvent, les conditions de sécurité à l'intérieur de ces tunnels sont extrêmement précaires. L'utilisation d'un robot pourrait signifier une percée qui nous permettrait de procéder avec plus de rapidité et en toute sécurité », détaille Gabriel Zuchtriegel, le directeur du site.
Depuis un an à la tête de ces ruines parmi les plus célèbres au monde, cet Italo-Allemand de 40 ans les engage résolument sur la voie de la modernité. Bien décidé à tourner le dos aux incuries du passé qui avaient fait brandir à l'UNESCO, en 2013, la menace d'inscrire Pompéi sur sa liste du patrimoine mondial en péril... « Nous devons utiliser toutes les possibilités que nous offre le développement technologique pour sauvegarder cet immense patrimoine », est convaincu Gabriel Zuchtriegel.
Drones et intelligence artificielle
En même temps que Spot, un drone capable d'effectuer des scans 3D de manière autonome a été propulsé dans les airs. Il permet aux équipes de surveiller le parc et de suivre l'avancement des travaux dans les zones en cours de reconstitution ou de restauration. Des caméras thermiques fournissent également des données et des images alertant le personnel en cas, par exemple, d'humidité dans les murs ou d'activité sismique anormale. « L'objectif est d'avoir une image en temps réel de ce qui se passe, afin de pouvoir intervenir avant qu'il ne soit trop tard », explique Gabriel Zuchtriegel.
Le projet le plus ambitieux et innovant est sans aucun doute RePair (pour « Reconstructing the Past: Artificial Intelligence and Robotics »). Déployé en septembre 2021, il vise à développer une machine intelligente capable de recomposer toute seule des fresques pompéiennes fracturées en milliers de morceaux. « C'est un projet pluridisciplinaire faisant collaborer des historiens, des archéologues, des spécialistes de la robotique et des algorithmes... Et plusieurs pays, comme Israël, la Suisse ou encore l'Allemagne », raconte Elena Gravina, en charge de la restauration à Pompéi. Le site archéologique fournit deux cas d'école au projet : les fresques de la Schola Armaturarum et celles de la Maison des peintres, fortement endommagées par des écroulements et des bombardements alliés pendant la Seconde guerre mondiale. Si le dessin original de la première est connu, ceux de la deuxième ont volé en éclats au moment de l'éruption...
La première étape consiste à scanner les éléments un à un pour les faire assimiler par la machine. Il faut ensuite enseigner à celle-ci les critères de composition, les couleurs et sujets utilisés, en lui donnant à voir et à analyser des fresques pompéiennes de la même époque. « Le toucher sensible du restaurateur et de l'archéologue devront enfin être transmis au bras et à la main mécaniques, afin de ne pas abîmer des pièces parfois très petites et fragiles », décrit Elena Gravina. Un prototype est en train d'être testé, mais cette machine incollable au puzzle ne sera sûrement pas au point avant 2023.
Les archéologues la voient-il d'un bon œil ? « Oui, car c'est une partie très fastidieuse de leur travail qu'elle pourrait prendre en charge, répond Elena Gravina, elle-même restauratrice et conservatrice. Par manque de temps et de ressources humaines, des dizaines de milliers de fragments dorment dans les entrepôts. Ils pourront enfin être reconstitués en accéléré et montrés au public. »
Élargir la vision de la société pompéienne
Avec un peu plus d'un million de visiteurs (4 millions avant la pandémie), Pompéi a été le troisième lieu italien le plus visité en 2021 – derrière la galerie des Offices de Florence et le Colisée, à Rome. Son directeur souhaite également moderniser la façon de le raconter : « En élargissant notre regard vers des aspects de la société antique qui ont traditionnellement reçu moins d'attention, par exemple les classes inférieures ». Inspiré par les études de genre et post-coloniales, il rêve que le visiteur n'oublie pas que « toutes les richesses et les œuvres d'art que nous voyons à Pompéi sont issues d'une société très dure où l'esclavage existait ». Que de défis pour Pompéi !