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Le patrimoine au cœur des questions climatiques

Le patrimoine au cœur des questions climatiques
Hautes eaux (acqua alta) sur la place Saint-Marc, Venise.
Photo Jon Arnold Images/ hemis.fr.

Selon l’Unesco, 128 sites classés au patrimoine mondial sont menacés frontalement par le changement climatique. Pourtant, les données manquent encore. La solution serait-elle dans la recherche européenne ?

« À un moment, le réchauffement climatique va nous impacter. Il ne sera plus question de développement durable mais bien de sauvetage du patrimoine. » À la tête du Palais des Beaux-Arts de Lille, Bruno Girveau est inquiet. Les mausolées de Tombouctou menacés par l’avancée des dunes ou les Moaï de l’île de Pâques guettant la montée des eaux ont fait la une des journaux. Mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin. En Italie, l’érosion côtière fait peser un risque d’engloutissement sur la Cité des Doges à mesure que ses épisodes d’acqua alta empirent un peu plus chaque année. Moins célèbre, la petite ville de Gubbio en Ombrie observe la fragilisation de son sol sous l’effet des pluies torrentielles, jusqu'à provoquer des fissures dans son palais des consuls et ses fresques du XIVe siècle. La Grèce est aussi aux premières loges face à la hausse du niveau des mers et à l’élévation des températures. L’Acropole subit de plein fouet les pluies acides sur ses marbres, en plus des phénomènes extrêmes qui ont raison de la structure des temples, tandis que les feux de forêt toujours plus violents menacent régulièrement Olympie. 

En France aussi les exemples sont légions. « Les chocs thermiques commencent à poser des problèmes sur nos bâtiments. Avec les épisodes de sécheresse plus longs et importants, la charpente bouge plus rapidement, le carrelage se soulève… », explique Elisabeth Latrémolière, conservatrice du château de Blois. Au château d’If, la montée des eaux le rend impraticable 190 jours par an (contre 50 il y a dix ans). La campagne de restauration en cours prévoit en conséquence un nouveau ponton de débarquement. Mais Delphine Christophe, directrice de la conservation au Centre des monuments nationaux (CMN) reste nuancée : « Il est encore difficile d’affirmer que les dégradations que l’on observe sont directement liées au climat. Je ne vois rien d’inhabituel, pour l’instant du moins. » 

Manque d'indicateurs

Le discours est plus tranché quand il s’agit des jardins historiques. À Versailles, Sylvain Parrot, gestionnaire du patrimoine arboré du château, est limpide : « La raréfaction des pluies en été nous a obligés à recruter deux personnes à temps plein pour arroser. Les chenilles processionnaires de plus en plus nombreuses commencent à poser des problèmes aux statues en extérieur. Mais surtout, les hivers moins froids ne tuent plus les insectes et parasites. Résultat, les essences forestières meurent : les frênes et érables sont attaqués, comme les ormes qu’on a remplacés par des tilleuls, qui commencent aussi à être envahis. Or, nous sommes tenus de présenter un parc cohérent sur le plan historique. Sans compter que si le climat change, les sols eux ne changent pas, ce qui nous limite aussi dans le choix des essences à planter. De plus, changer les essences a un impact sur la biodiversité avec une faune qui doit aussi s’adapter. Pour l’heure, on assiste assez impuissant au changement climatique. »

Les discours sont à l’unisson : les indicateurs manquent. Pour apporter des éléments de réponse, l’Union européenne s’attèle à la tâche et a mis sur pied en janvier 2021 un groupe de travail sur la résilience du patrimoine culturel face au changement climatique. « C’est la première fois qu’un tel groupe existe, se félicite sa présidente allemande, Johanna Leissner, qui a présenté à Paris les 15 et 16 mars les premiers résultats de son travail lors d’un symposium européen sur les sciences du patrimoine. Notre objectif est de collaborer et se coordonner au niveau européen pour mieux documenter les effets, esquisser des pistes d’adaptation, déterminer le nombre de sites impactés, évaluer les dommages, l’investissement nécessaire, etc… Sans chiffres vous ne pouvez pas parler aux décideurs politiques qui seuls font le choix des financements et des lois. La recherche sur le patrimoine doit être primordiale. » 

Mieux comprendre la résilience

Dans ce même esprit, le projet européen HERACLES se concentre sur l’étude de quelques sites emblématiques, dont la cité minoenne de Cnossos en Crète, pour établir des protocoles à généraliser. « Notre objectif est de mettre au point des protocoles à élargir à d’autres sites, mais aussi de mieux comprendre la résilience du patrimoine. Certains monuments antiques résistent mieux que des restaurations récentes en béton armé trop rigides, par exemple. Nous devons retrouver ces savoir-faire et cela ne peut passer que par la recherche », explique Giuseppina Padeletti, directrice de recherche au Conseil national de la recherche italien. Découvrir que le patrimoine est aussi une partie de la solution pourrait ainsi être un argument de poids pour amplifier le développement de la recherche.

Le Château d'If vu du ciel.
Le Château d'If vu du ciel.
Photo OT Marseille.
Gubbio, Palais des consuls.
Gubbio, Palais des consuls.
Photo Zyance.
Jardins du chateau de Versailles.
Jardins du chateau de Versailles.
© Château de Versailles/ Thomas Garnier.
Site archéologique minoen de Cnossos, Grèce, Crète. Palais du Roi Minos, entrée nord.
Site archéologique minoen de Cnossos, Grèce, Crète. Palais du Roi Minos, entrée nord.
Photo Leonhard_Niederwimmer/Pixabay.

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