Les baigneurs de Susanne Hay pourraient laisser croire qu'ils s'apprêtent à sortir de leur canevas pour rejoindre les vestiaires du bassin de la Piscine de Roubaix, à quelques mètres de la salle où ils sont exposés. La série d'huiles sur toile de l'artiste allemande – née en 1962 et tragiquement décédée d'une noyade alors qu'elle tentait de sauver deux enfants, en 2004 – présentée dans le cadre des 20 ans de l'inauguration du musée, a vu le jour à la piscine publique Armand-Massard à Montparnasse. En 1996, la jeune femme est hantée par L'Œil et l'Esprit de Merleau-Ponty, dont l'eau lui inspire ce « rayonnement du visible que le peintre cherche sous les noms de profondeur, d'espace, de couleur ». Pendant de longues heures, elle fait poser des hommes au bord de l'eau, au premier plan, dans un univers géométrique où aucun n'enfant ne s'ébroue, où la lumière artificielle des néons confère aux corps une touche d'irréalité, où les petits carreaux de faïence orangés tranchent avec le bleu fluorescent de l'eau chlorée. Pour celle qui considérait le corps comme le cœur de sa recherche de peintre figurative, ses sujets aquatiques, aux allures plus amphibiennes qu'humaines, incarnent l'expérience intime de la solitude et du sentiment d'aliénation que chacun peut ressentir dans des lieux publics impersonnels, à la modernité froide, qui parcourt toute son œuvre. La presque nudité se fait l'écho de la fragilité de l'esprit comme de la chaire. Ce goût du sculptural, doublé d'une attention portée à la lumière et aux contrastes chromatiques, inscrivent Susanne Hay dans un souci de penser l'humain dans son rapport complexe à l'espace.
« Susanne Hay » à la Piscine de Roubaix, jusqu'au 6 février.