Le point commun entre la productrice de cinéma Nathalie Bloch-Lainé, Yannick Bolloré, président-directeur général d’Havas, et Gérard Errera, ancien ambassadeur reconverti au sein du fonds Blackstone ? Les trois sont « personnalités qualifiées » dans des conseils d’administration de musées, respectivement au Quai Branly, à Rodin et aux Arts décoratifs. Aux côtés de la direction, des émissaires de l’État ou des élus, ainsi que des représentants du personnel, ces administrateurs bénévoles participent trois fois par an aux délibérations. Comme eux, d’autres grands patrons, financiers, avocats, diplomates ou collectionneurs figurent dans les CA des grands établissements. Des célébrités, aussi, comme la comédienne Charlotte Gainsbourg, qui a siégé au conseil du Palais de Tokyo, ou la journaliste Anne Sinclair au musée Picasso. « C’est une forme de reconnaissance que d’être dans des grands conseils d’administration, au Louvre, à l’Opéra ou au Centre Pompidou, décrypte une directrice de musée. Ce n’est pas la Légion d’honneur, mais pas loin. »
Mais en quoi sont-ils vraiment qualifiés ? Il n’est pas exigé d’eux d’être calés dans l’art du Cameroun, la sculpture du XIXe siècle ou le mobilier de Riesener. Ni d’être expert ès médiation. Sans être négligeable, leur vote est d’ailleurs rarement déterminant dans la politique générale d’une institution. « Dans les grands établissements, admet un familier de ces questions, ils ne renversent pas la table, ils sont là pour accompagner, voire affirmer le point de vue de la présidence. »
« Ils ne font pas de la figuration, proteste Christophe Leribault, président des musées d’Orsay et de l'Orangerie. On a avec eux des discussions tout au long de l’année, ils n’hésitent pas à faire part de leurs désaccords. Et dans les renouvellements, on tient compte de leur implication. » Comprenez, ils ont une obligation d’assiduité. « Chez nous, les personnalités qualifiées ne sont pas des potiches, renchérit Sylvie Corréard, directrice générale du MAD. Elles nous accompagnent en termes de conseil, de réflexion sur la stratégie. » En mars 2020, au déclenchement de la pandémie, elle prenait régulièrement la température du monde – et des affaires – auprès de Bruno Roger, vice-président de la banque Lazard. « Il est très connecté et apporte des connaissances sur un contexte plus large, poursuit Sylvie Corréard. Et d’ajouter : « Les discussions avec nos personnalités qualifiées m’ont beaucoup aidée à prendre les décisions qui s’imposaient. »
Des intercesseurs de poids
Quand ils le prennent au sérieux, leur rôle est proche de celui d’un ambassadeur de bonne volonté. Lorsqu’en novembre dernier, Grégoire Chertok, associé gérant chez Rothschild & Cie, a fait son entrée au conseil d’administration de la Villa Médicis, à Rome, son directeur Sam Stourdzé l’a reconnu sans détours. « Nous avons besoin de développer les financements privés », a-t-il déclaré aux Échos, espérant en substance qu’un banquier d’affaires bien connecté jusqu’au sommet de l’État aiderait à doper le budget de 8 millions d’euros. Au MAD aussi, les personnalités qualifiées aident à renflouer les caisses. Gérard Errera a ainsi obtenu de son PDG, Stephen Schwarzman, la coquette somme de 2,6 millions euros pour restaurer les galeries dédiées à la mode. Catherine Pégard, présidente du château de Versailles, voit en Yan Lan, directrice Chine de la banque Lazard, une intercesseuse de poids. « Elle nous aide à tisser des relations plus fortes avec la Chine, où elle connait beaucoup de directeurs de musées et nous donne des idées de mécènes », précise-t-elle.
Rares sont en revanche les historiens et intellectuels à figurer dans les CA, si ce n’est à Orsay l’écrivaine Dominique Bona, spécialiste de Berthe Morisot, ou au Louvre Louis-Antoine Prat, grand donateur du musée. Les artistes aussi se comptent sur les doigts d’une main : Adel Abdessemed au Centre Pompidou, Rebecca Digne au musée Rodin. Pas simple pour eux de décoder des ordres du jour traitant de marché public et autres joyeusetés administratives. « J’ai toujours à cœur d’inscrire systématiquement à l’agenda des points d’ordre plus stratégique, comme l’éducation artistique ou le développement international », précise Julie Narbey, directrice générale du Centre Pompidou, qui aimerait que les personnalités qualifiées jouent un rôle encore plus important. Car dit-elle, « ils sont garants de la diversité des points de vue ».