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Entreprises et musées : un lien gagnant-gagnant ?

Entreprises et musées : un lien gagnant-gagnant ?
L'œuvre-espace 3-8 créée par Leopold Banchini et et Laure Jaffuel pour l'École Pro du Centre Pompidou.
© Manuel Braun.

A priori éloignés, musées et entreprises continuent à dialoguer, malgré un contexte sanitaire complexe. Si les musées défendent une approche sociétale, ils y gagnent aussi financièrement.

Avec la crise sanitaire, les relations entre musées et entreprises ont connu un brusque coup d’arrêt. Privatisations, visites pour CE, événements « apprenants » et autres séances de team building ou de brainstorming... : le Covid a drastiquement réduit les interactions entre ces deux univers, a priori déjà éloignés l’un de l’autre (lire à ce sujet l’enquête parue dans l’Hebdo le 11 septembre 2020). Sur le long terme en revanche, les liens semblent plus solides que jamais : l’entreprise investit de plus en plus le musée et le musée l’entreprise.

Le musée dans l’entreprise

L’École Pro du Centre Pompidou fête en mai prochain son troisième anniversaire. L'espace 3-8, sorte de salon modulable conçu par Léopold Banchini et Laure Jaffuel au sein même des collections permanentes du musée national d'art moderne, a déjà accueilli plus de 1200 salariés, en particulier des cadres. Mais c'est en réalité ici plutôt le musée qui s'immisce dans l'entreprise. L’idée au cœur de ce projet ? Proposer une formation professionnelle continue et du conseil afin de « nouer un dialogue avec les acteurs du monde du travail », annonce le programme. Plus encore, « l’apprentissage, l’innovation et la prise de recul sont clefs pour les entreprises. L’École pro accompagne la transformation des entreprises grâce à la rencontre avec l’art et les artistes ». Au menu, des formations thématiques (numérique et intelligence artificielle, rôle politique de l’entreprise, risque et incertitude, résilience et care, engagement ou encore « innovation ordinaire »), mais aussi sectorielles (par exemple sur « l’expérience immatérielle » dans le luxe) ou métiers (régie d’œuvres, médiation…). 

En quoi l’expérience des artistes peut-elle être un apport pour l’entreprise, et surtout pourquoi le musée endosserait-il ce rôle d’entremetteur entre les deux ? « Les entreprises sont en recherche d'expériences d'intelligence collective. Comme par exemple la chorale de gestes que leur a présentée l'artiste Bertille Bak, détaille Julie Narbey, directrice générale du Centre Pompidou. Ces formations et rencontres permettent à la fois de penser autrement, de libérer la créativité et d'échanger entre collègues en prenant du recul, en bénéficiant du regard anticipateur des artistes. Ainsi on a invité des entreprises de BTP à réfléchir au vivre-ensemble autour de nos collections d'architecture. »

Si le Centre Pompidou défend ici une démarche sociétale, qui rencontre peut-être un écho plus fort en cette période de perte de sens, n’est-ce pas aussi un moyen d’attirer les entreprises au musée dans le but de convertir ces clients en futurs mécènes – autrement dit de faire gagner de l'argent à l'institution ? Julie Narbey ne dément pas : « L'École Pro est une manière intelligente de développer nos ressources propres. On construit aussi une communauté d'entreprises autour du Centre Pompidou, qui peuvent par la suite apporter du mécénat de compétences ou financier, même si ça n'a pas encore été le cas étant donné le contexte de crise actuel. » Mais l'offre s'adresse aussi aux collectivités territoriales, notamment dans la formation à la médiation : « En faisant du transfert de compétences métiers et en créant des relais sur le territoire, le Centre Pompidou assure un vrai rôle de service public », souligne Julie Narbey.

L’entreprise au musée

Depuis 2014, l’Institut du Monde Arabe (IMA) – établissement placé sous l’autorité morale d’un Haut Conseil composé de représentants des États membres de la Ligue arabe, qui le financent conjointement avec la France, via le ministère des Affaires étrangères – associe quant à lui langage entrepreneurial et enjeu muséal en se transformant ponctuellement en plateforme de rencontre et d’échange économique pour chefs d’entreprise. Devenant le temps d'un événement une sorte de think thank économico-culturel sur le monde arabe, l’institution déjà bien établie dans le milieu diplomatique rentabilise son réseau et attire les entreprises qui souhaitent tisser des liens plus forts entre la France et le monde arabe. L’un des derniers événements en date s’est tenu en avril 2021 : moyennant la location d’espace, ces « Rencontres économiques » ont pris la forme de plusieurs tables rondes, dont une sur le thème « Leadership et empowerment féminin : vision, enjeux et perspectives », menée par plusieurs personnalités, dont Nadia Fettah Alaoui, ministre marocaine du Tourisme, de l’Artisanat, du Transport aérien et de l’Économie sociale. Ces rencontres jettent des ponts avec la programmation culturelle de l’IMA, que les différentes entreprises sont invitées par ailleurs à soutenir financièrement.

La situation du musée des Arts décoratifs (MAD) est quant à elle singulière. L’établissement au statut associatif, qui tire la moitié de ses revenus de ressources propres, a depuis sa création au XIXe siècle toujours eu des liens avec de grandes industries – textiles notamment – et des maisons de luxe. Jusqu’au 15 mai, le musée parisien propose une rétrospective des créations des marques Prisunic et Monoprix dans son parcours permanent. « Nous sommes en contact avec Prisunic puis Monoprix depuis de longues années, raconte le directeur du musée des Arts décoratifs, Olivier Gabet. Nous avons commencé très tôt à acquérir leurs pièces et en 2018, nous avons ouvert une salle consacrée aux pièces de Prisunic dans notre nouveau parcours contemporain, car c'est un fait majeur dans l'histoire du design pour tous. » L’entreprise enclenche alors les premières discussions pour une collaboration future, qui aboutit à l’exposition « Le design pour tous : de Prisunic à Monoprix, une aventure française ». L'enseigne a par ailleurs débloqué un budget pour que le musée puisse faire des acquisitions d'objets anciens : « Monoprix s’est mis à notre écoute, dans une forme de collaboration très positive pour nous, se réjouit Olivier Gabet. Le succès des rééditions réalisées pour l’entreprise par des designers démontrent leur actualité toujours forte et cela a créé une attention de la part des médias et du public au bénéfice de l'exposition ».Côté Monoprix, quel avantage ? La collaboration avec le musée apporte à la marque une forme de prestige et de validation. Et la marque donne au musée un air de fraîcheur qui attire un public plus large. Win win.

Julie Narbey.
Julie Narbey.
© Didier Plowy.
Vue des Rencontres économiques du monde arabe à l'IMA.
Vue des Rencontres économiques du monde arabe à l'IMA.
© Thierry Rambaud.
Vue de l'exposition « Le design pour tous : de Prisunic à Monoprix, une aventure française » au MAD.
Vue de l'exposition « Le design pour tous : de Prisunic à Monoprix, une aventure française » au MAD.


© Christophe Dellière/MAD, Paris.

Vue de l'exposition « Le design pour tous : de Prisunic à Monoprix, une aventure française » au MAD.
Vue de l'exposition « Le design pour tous : de Prisunic à Monoprix, une aventure française » au MAD.


© Christophe Dellière/MAD, Paris.

Olivier Gabet.
Olivier Gabet.
Photo Adrien Dirand.

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Article issu de l'édition N°2300